La saignée de l’affreux «Boucher» tient de l’exorcisme vital

Publié le 14 février 2025

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A partir de faits avérés, la prolifique et redoutable Joyce Carol Oates brosse, de l’intérieur, le portrait d’un monstre ordinaire de la médecine bourgeoise, qui se servait des femmes les plus démunies comme de cobayes utiles à ses expériences de réformateur plus ou moins «divinement» inspiré. Lecteurs délicats s’abstenir…

On se trouve incessamment secoué entre dégoût et fascination, répulsion et adhésion, rejet viscéral et reconnaissance par «devoir de mémoire» à la lecture du dernier roman de Joyce Carol Oates traitant, après son mémorable Livre des martyrs américains où elle abordait la question de l’avortement et ses séquelles dramatiques, des pratiques effrayantes en cours dans un asile psychiatrique américain réservé aux femmes en détresse sociale et psychologique, au tournant des années 1850.

S’il s’agit là d’une œuvre de fiction «limite gore», et parfois jusqu’à l’insoutenable, la romancière n’en insiste pas moins sur la base «réelle» de sa narration, nourrie par une vaste documentation et, plus précisément, par les vécus et autres écrits de trois personnages «historiques», à savoir J. Marion Sims (1813-1883) considéré comme le «Père» de le gynécologie moderne, Silas Weir Mitchell (1876-1933), autre «Père» de la neurologie médicale, ainsi qu’Henry Cotton (1876-1933), directeur de l’asile d’aliénés du New Jersey de 1907 à 1930.

Or le roman s’écarte immédiatement d’une relation seulement factuelle, relevant de la plate chronique ou du témoignage, pour nous plonger au cœur de la psychologie, tissée de complexes et d’énormes préjugés, de celui qui sera le protagoniste éponyme du roman: ce «boucher» aux mains sanglantes au nom de Silas Aloysius Weir dont la Chronique d’une vie de médecin module un journal tenu d’une main solennelle sous le regard attentif de Dieu en Personne, sévère et juste copilote de ce fils et frère de médecins plus doués que lui (à vrai dire son père et...

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