Quand la Suisse fournissait des baraques à Dachau

Publié le 29 décembre 2020

Jeu risqué entre Berlin et Berne: Paul Eduard Meyer (en civil) dans une voiture avec le général Guisan. – © Verlag NZZ

Article troublant dans la NZZ. Titre: «Deal explosif avec les SS: comment la Suisse livrait des baraques pour les camps de concentration pendant la Seconde guerre mondiale». L’affaire suscita l’émoi en 1945. Une procédure fut engagée mais n’aboutit pas. Un des maillons de l’opération n’était autre que le fils du général Guisan.

L’organisation faîtière des fabricants de constructions en bois a été alors vivement critiquée, jusqu’au Parlement. On sait aujourd’hui que dès 1940, la Wehrmacht s’intéressait à de telles livraisons. L’officier SS Hans Wilhelm Eggen mena des discussions à Lausanne, en août 1941, avec la firme Extroc SA, créée pour l’occasion. Au conseil d’administration siégeaient un industriel vaudois et le colonel Henry Guisan, fils du général, qui s’appuie sur son ami Paul Eduard Meyer, avocat, officier dans les services de renseignements, installé au château de Wolfsberg. Celui-ci aura plusieurs contacts avec les émissaires SS tout au long de la guerre, pour faciliter, pensait-il, les discussions secrètes. Il fut convenu la livraison de 2000 baraques démontables de 6 sur 24 mètres, pour un montant de 22 millions. Dès mars 1942 il en fut livré 500 par les CFF à «Oranienburg bei Berlin» et «Dachau bei München».

L’historien Willi Gautschi estime que les négociateurs et les fabricants de ces baraques ne pouvaient ignorer leur destination car on connaissait alors en Suisse l’existence des camps de concentration. En janvier 1943, le ministre de la Défense, Karl Kobelt, conseilla au commandant en chef de veiller à ce que sa progéniture s’abstienne de telles transactions, compte tenu de la position du père, «même s’il n’y avait rien de mal légalement dans cette affaire». L’enquête demandée en 1945 par le conseiller fédéral Walther Stampfli, chef de l’économie publique, fut classée «faute d’éléments pénalement punissables». Le fils du général est décédé en 1990, à l’âge de 91 ans.

Cette histoire a été mentionnée par le Nouveau Quotidien le 13 mars 1997 et dans le livre de Hans-Ulrich Jost, Le salaire des neutres, en 1999. Elle n’avait trouvé aucun écho en Suisse alémanique.


Lire l’article dans la NZZ.

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