L’Occident, bras armé de la démocratie?

Lors des débats qui suivirent, le discours dominant tourna autour de la démocratie. Selon les intervenants, Américains et Européens en sont l’incarnation, face à de vastes partie du monde peu ou pas du tout démocratiques. L’heure est donc à la défense, politique et armée, des «valeurs», de la liberté. Que les réalités, à cet égard, soient autrement plus complexes, plus contradictoires, chez nous comme ailleurs, mieux vaut ne pas le rappeler si l’on veut éviter les fausses notes dans ce concert, quasi unanime en cette occasion, à la gloire de l’Occident bras armé de la démocratie. Prière de ne pas se référer aux expéditions militaires américaines des dernières décennies et à leurs conséquences. Merci, pour ne pas troubler l’autosatisfecit, de ne pas souligner la différence de traitement envers la Russie qui a attaqué sa voisine et Israël qui occupe dans la violence des territoires qui ne lui appartiennent pas. Deux poids, deux mesures? Chut!
On sait que la conseillère fédérale Amherd multiplie depuis belle lurette les contacts avec l’OTAN, où l’on précise d’ailleurs qu’il n’est nul besoin d’une adhésion formelle pour faire route avec elle. Avec manœuvres communes, achat de matériels américains, visites réciproques… L’organisation transatlantique aura son bureau à Genève. Et un diplomate de choc, aujourd’hui ambassadeur à Washington, Jacques Pitteloup, représentera désormais la Suisse à son siège de Bruxelles. Le Sonntagblick vient aussi de révéler que le DFAE mène auprès d’elle de discrets contacts en vue d’accords concrets et non moins discrets. Ce qui fait tousser dans les rangs de l’UDC et de la gauche. Neutralité, où es-tu passée?
Madame Viola Amherd apporte une intéressante réponse. Elle réaffirme que «nous ne pouvons pas faire face seuls aux périls nouveaux». Il s’agit donc, selon elle, de coopérer, au plan militaire, avec l’OTAN et même avec l’Union européenne. Pour notre sécurité. Mais pas seulement. Par idéalisme aussi. Pour se joindre dans les actes à la ligue des vertueux. Alors que les Suisses qui tiennent à la neutralité sont, eux, animés par le souci de commercer avec tout le monde. Ils y voient leur intérêt. Et non une question de morale. Mieux vaut donc, dans cette logique, n’en faire qu’une étiquette déclamatoire, un aimable souvenir, un concept élastique qui permet de s’allier aux uns et de bannir les autres.
Qu’il est bon de se blottir dans le manichéisme. Le Bien ici, le Mal là. Et tant pis pour le vieil et sage écrivain Adolf Muschg qui, lui, dit préférer aux armes la quête du dialogue, les chemins de la paix. Tant pis pour Edgar Morin (103 ans) qui publie encore un livre cet été (S’il est minuit dans le siècle, aux Editions de L’Aube). Edgar Morin dont on retiendra ce passage: «La première et fondamentale résistance est celle de l’esprit. Elle nécessite de résister à l’intimidation de tout mensonge asséné comme vérité, à la contagion de toute ivresse collective. Elle enjoint de ne jamais céder au délire de la responsabilité collective d’un peuple ou d’une ethnie. Elle exige de résister à la haine et au mépris. Elle prescrit le souci de comprendre la complexité des problèmes et des phénomènes plutôt que de céder à une vision partielle ou unilatérale.»
Propos de vieillards? Ou fil de sagesse à renouer sans cesse?
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