Jean-Patrick Manchette: tout pour et par l’écriture

Publié le 5 mai 2023
Y a-t-il un écrire d’avant écrire et un écrire d’après écrire, un temps sans écrire et un temps pour écrire? «Derrière les lignes ennemies. Entretiens 1973-1993», qui vient de paraître à La Table Ronde, regroupe vingt-huit interviews où l’auteur de «Nada» revient sur son travail littéraire.

Très inspiré par la pensée situationniste et les écrits de Guy Debord, l’essentiel du travail de Manchette tourne autour du pourquoi, du pour qui et du comment écrire. Il voulait instrumentaliser la chose, cette pratique, l’utiliser pour proposer des scénarios et par là, trouver un boulot alimentaire – mais, c’est elle, l’écriture, qui va l’instrumentaliser lui et le dévorer complètement.
Pendant les 20 ans de sa vie active, à chaque rencontre «médias», d’Apostrophes à des revues  confidentielles, face à chacun de ses interlocuteurs, Manchette détaille inlassablement les processus à l’œuvre dans la fabrication de ses romans. Souhaitant d’abord travailler pour le cinéma mais ne parvenant pas à placer ses projets les plus personnels, il décide d’écrire des Séries noires qu’il pourra présenter à des producteurs. Parallèlement, il effectue de nombreuses tâches alimentaires: réécritures, scénarios pour des films «sexy», novélisations…
«Je ne me contenterai pas de l’approximation, car celle-ci n’est ni chaude, ni froide et par suite doit être vomie» Apocalypse III, 16
Tous ses travaux pour le cinéma vont le décevoir et à l’inverse, ses romans, il s’en rendra compte petit à petit, vont immensément le gratifier. Au début, il écrit pour pouvoir faire du cinéma, plus tard, il fait du cinéma pour pouvoir écrire. Il n’écrit donc pas, contrairement à ce qu’il a cru à un moment, pour des raisons économiques, mais parce qu’il en a besoin. Il écrit tous les jours, tout le temps et quand il écrit, il carbure à l’émotion. Même une lettre, il la réécrit six, sept fois. Il a horreur de se séparer de ses textes. Il a vécu dans les livres, pour les livres et par les livres. Bref, sans le cinéma, il n’aurait pas vécu du tout. Celui-ci le frustre toujours, n’est jamais gratifiant mais en le so...

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