Contradictions énergétiques et géopolitiques

Publié le 17 juin 2022
Les tensions latentes qui minaient l’ordre mondial libéral imposé par les Etats-Unis après la disparition de l’Union soviétique, et qui ont éclaté au grand jour avec la guerre en Ukraine, aboutissent à des recompositions inédites des relations internationales et à des contradictions qu’il nous va falloir résoudre rapidement.

Les premières concernent les matières premières, l’énergie et les ressources agricoles, qui se rappellent brutalement à notre souvenir alors que nous ne jurions que par les nouvelles technologies et les start-ups. Le plus gros défi consistera à concilier les objectifs climatiques à long terme (fin du pétrole et des énergies fossiles) et à court terme (construction de nouvelles installations portuaires et de dé- et regazéification, réorganisation des routes de transport pour remplacer les pipe-lines existants) alors même que ces nouvelles installations devront être abandonnées dans dix ans selon les accords climatiques en vigueur. Quel privé sera assez fou pour dépenser des dizaines de milliards pour des infrastructures qui devront être démantelées avant d’avoir pu être amorties? Le contribuable qui verra ses factures de chauffage et de transport exploser sera-t-il d’accord de payer?

Idem pour les produits agricoles, sachant que le quart des exportations mondiales de céréales, d’oléagineux et d’engrais devra être stocké, acheminé et redistribué via de nouvelles routes qui contourneront l’Europe à la suite des sanctions et de la guerre en Ukraine. L’embargo sur ces produits va donner à la Russie que l’on prétend affaiblir un effet de levier immense sur les pays importateurs tout en gonflant ses revenus. Où est la logique?

Sur le plan politique, la situation risque aussi de devenir délicate. Le «Sud Global» est en pleine effervescence face à «l’Occident collectif». La semaine dernière, le Sommet des Amériques a été un échec retentissant pour Joe Biden et les élites américaines qui redoutent désormais que le continent latino-américain leur échappe. 8 pays sur 33 étaient absents, cinq ayant boycotté la rencontre – Mexique, Bolivie, Honduras, Guatemala et Salvador – parce que trois autres n’avaient pas été invités (Cuba, Venezuela et Nicaragua) et que ce «sommet» n’avait donc pas de sens à leurs yeux.

La même semaine, on annonçait la création d’un «Grand 8» pour faire pièce au G7 occidental. Ce Grand 8 en gestation, formé de la Chine, de la Russie, de l’Inde, de l’Indonésie, du Brésil, du Mexique, de l’Iran et de la Turquie, dépasserait largement le G7 en termes de puissance économique puisque son PNB cumulé atteint 56’000 milliards de dollars contre seulement 45’000 pour le G7. Cela sans compter l’Afrique du Sud, cinquième membre des BRICS. 

Mentionnons enfin le jeu étonnant de l’Inde, puissance économique très courtisée, en pleine croissance, «démocratique» et donc irréprochable, et qui profite de la crise pour revenir avec brio sur la scène internationale. Comme on dit dans le jargon managérial, l’Inde est trop grosse pour plier devant les pressions occidentales et joue à fond la carte du non-alignement et de la coopération russe et arabe. Cela pour une raison qui avait échappé aux Occidentaux, à savoir que, dans sa compétition avec la Chine, elle veut à tout prix éviter que la Russie tombe dans l’orbite chinoise au cas où les sanctions occidentales réussiraient à la faire ployer. L’Inde tient à ce que la Russie reste le troisième pôle de puissance en Eurasie.

Voilà qui devrait faire réfléchir une Europe qui semble avoir perdu sa boussole…

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