Avons-nous désappris à penser?

Publié le 12 juillet 2024
Dans un essai paru il y a deux ans, le reporter indépendant et ancien correspondant de guerre Gianluca Grossi (un visage assez connu outre-Gothard pour avoir présenté le téléjournal) établit un parallèle éclairant entre notre manière de parler de la guerre en Ukraine et l’attitude qui a été la nôtre (et le discours adopté par des médias) pendant les deux années de pandémie de Covid. Il y brosse un tableau nécessaire parce que sincère (quoique pas toujours très flatteur) de la manière dont les médias et la société ont géré la crise. Dans l’espoir que certains écueils (notamment l’analyse exclusivement fondée sur une lecture clinico-médiale de la réalité) et réflexes sauront être évités à l’avenir.

Renato Weber

«Si quelqu’un nous avait dit que nous devrions un jour faire face à une maladie virale très contagieuse dont l’évolution peut dans certains cas être mortelle, en arrêtant le cours du monde, en nous mettant à surveiller mutuellement nos (nouveaux) comportements, jusqu’à dénoncer le voisin qui a eu le tort de ne pas s’être départi entièrement des anciens comportements, et en permettant que soient gelées, au nom de cette nouvelle société milice, nombre de libertés fondamentales que nous tenions désormais pour acquises et inattaquables (la liberté est si fragile), que nous suspendrions les parlements et que nous remettrions au goût du jour des mots au parfum de guerre même si nous n’étions pas en guerre (pourtant, il y avait une ambiance de guerre), si quelqu’un nous avait dit que nous les aurions écoutés sans sourciller, allant jusqu’à nous enfermer chez nous, l’aurions-nous cru? Non, nous l’aurions pris pour un fou.» (traduction de R. Weber)
Selon Grossi, une de nos erreurs fondamentales est de considérer l’actuelle guerre en Ukraine comme ne pouvant être qu’une erreur, ou du moins le résultat d’une décision irrationnelle prise par un esprit malade (Poutine). Alors que cette guerre, comme d’ailleurs une majorité des guerres, est malheureusement une constante dans l’histoire humaine. Facile à faire (l’être humain a toujours fait la guerre), elle est en principe le fruit d’un choix rationnel et c’est sous cet angle-là qu’il faut l’aborder si nous voulons éviter une analyse biaisée des faits. L’hypothèse de Grossi est que ce réflexe se serait renforcé pendant les deux années de pandémie, que ce sont elles, notamment avec l’omniprésence des images d’hôpitaux dans les médias et de la vision médico-psychologisante, qui nous ont confortés dans cette lecture.
Après ...

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