Cārtārescu le visionnaire se la joue archange de roman

Publié le 11 octobre 2024
Avec «Théodoros», roman historico-poétique d’une fascinante splendeur verbale, combinant une épopée conquérante marquée par autant de faits glorieux que de crimes sanglants commis au nom de Dieu comme il continue d’en proliférer, et le récit d’une destinée aux multiples dédoublements, Mircea Cārtārescu signe un chef-d’œuvre porté par un souffle irrépressible, avec un art de l’évocation sans pareil. Poème romanesque d’une beauté saisissante dans ses grandes largeurs autant que dans la polyphonie profuse et savoureuse de ses détails, cette saga à l’orientale, frottée de théologie parfois déroutante, voire délirante, paraît dans une traduction française, signée Laure Hinckel, d’une merveilleuse musicalité.

Fabuleux: tel est Théodoros. Relevant alors de la fable autant que de l’affabulation, où le talent de romancier et de poète de l’auteur roumain Mircea Cārtārescu, très fécond (plus de trente livres parus) et largement consacré par de multiples prix littéraires, fusionne ici dans un (pseudo) roman historique aux fondements partiellement «réels» mais aux développements aussi extravagants que la vie du protagoniste-modèle, à savoir: Téwodros II.
Dans l’immédiat, à propos de cet extraordinaire personnage, l’on ne peut que recommander, à la lectrice et au lecteur non moins probablement ignorants en la matière que le soussigné, de consulter, sur Internet, la longue notice consacrée à Téwodros II à l’enseigne de Wikipédia, comme ils gagneront en assises documentaires à l’écoute des explications, sur Youtube, de l’écrivain lui-même. Ces précautions ne risquent en aucune façon de «spoiler», comme on dit aujourd’hui, leur intérêt et leur plaisir de lire: disons que baliser le fonds documentaire de Théodoros permettra de mieux apprécier, dès ses premières pages, l’envolée de la narration, en admettant d’emblée que l’auteur prend toutes les libertés avec la «vérité» historique.
Pour celle et celui qui ne peut accéder à Wikipédia d’un clic, précisons vite fait: que le «vrai» Téwodros II, né Kassa Hailou en 1818 à Charghe (province du Qwara, en Ethiopie très morcelée à l’époque par les guerres des seigneurs locaux), a marqué l'Histoire, au point de fasciner un certain Arthur Rimbaud, par sa fulgurante ascension de chef de guerre et fin stratège visant à l’unification d’un pays déchiré, puis s’efforçant d’appliquer des réformes de modernisation tous azimuts: contre l’esclavage et la corruption des élites politiques et religieuses, pour une redistribution des terres aux paysans, avec l...

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