Extrémistes! Fascistes! Populistes! Poutinistes!

Il y a quelques mois encore, plusieurs voix s’élevaient dans les partis traditionnels et dans les médias pour réclamer, carrément, l’interdiction de l’Alternative für Deutschland (AfD). C’est dire la crainte qu’elle inspire. Au soir de la récente élection, la rédactrice en chef de la TV publique (ZDF) allait loin aussi dans son commentaire: «Le 1er septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale a commencé avec l’attaque de la Pologne par la Wehrmacht. L’Allemagne a semé la souffrance et la mort dans le monde entier, assassinant six millions de Juifs. Le 1er septembre 2024, 85 ans jour pour jour après, un parti qui, selon l’Office de protection de la Constitution, est avéré être d’extrême droite, avec à sa tête un candidat qui parle comme un fasciste et peut être appelé ainsi, devient la première force politique du Land allemand de Thüringen». Allusion à un certain Björn Höcke, historien, qui a vanté certains aspects du nazisme. Un personnage détestable qui cependant ne représente de loin pas l’ensemble du parti, critiqué par la présidente elle-même, Alice Weidel. On trouve des sensibilités diverses dans cette formation créée en 2013. Elle est surtout braquée sur la question migratoire et la limitation des pouvoirs de l’UE, elle est attachée au libéralisme économique, elle rêve de démocratie directe «à la suisse», elle se montre prudemment réservée sur le soutien militaire à l’Ukraine. Au fond assez proche de notre UDC!
Extrémiste? Franchement quel politicien ne l’est pas de temps à autres? En tout cas, la ministre allemande des Affaires étrangères, la verte Annalena Baerbock, qui ne jure que par la guerre à outrance en Ukraine et voudrait que toutes les maisons allemandes soient, coûte que coûte, des pompes à chaleur…
Mais attention, on n’est pas à l’aube d’un grand soir ultra-nationaliste outre-Rhin. La droite classique (CDU/CSU) tient assez bien le coup à l’Est, elle a de belles perspectives pour les élections fédérales, dans un an. Face à des socialistes désemparés, des verts en voie de discrédit et des libéraux en chute, menacés d’éjection du Parlement.
Le succès de l’AfD, comme celui du «Bündnis Sahra Wagenknecht» (BSW), exprime d’abord les frustrations de la population, les colères que suscite l’alliance gouvernementale, rose (SPD), verte (Grünen) et noire (FDP, libéral). Quant à elle, l’étiquette courante qui lui est collée est «populiste». Curieux adjectif. Quel parti ne cherche pas la faveur du peuple? Le discours de Sahra Wagenknecht porte dans une Allemagne en plein désarroi. Inflation, déclin industriel, coûts de l’énergie en hausse, usure des équipements publics, hôpitaux et écoles souvent surchargés.
Les Länder de l’est ont été massivement modernisés après la chute de la RDA communiste. Mais le niveau de vie reste plus bas qu’à l’ouest, le chômage, des jeunes en particulier nettement plus élevé. On y compte moins de personnes issues de l’immigration (11,4%) qu’au total en Allemagne (29,7%), mais un autre problème apparaît: la natalité est faible, nombre de femmes et d’hommes bien formés préfèrent s’établir dans les parties plus riches du pays. Certes Leipzig est florissante, de petits et moyens entrepreneurs y ont afflué. Mais les gros investisseurs sont rares du côté des prestigieuses Weimar, Erfurt, ou Dresden. Le décalage technologique se creuse. Et voilà que Volkswagen, à la peine, envisage la fermeture de ses unités de production à Zwickau. En Sachsen, à l’est!
A cela s’ajoute une sensibilité particulière en matière de politique étrangère. Comme si dans ces territoires autrefois occupés par l’URSS puis subordonnés à Moscou, on avait moins peur des Russes! L’alignement total sur les USA passe mal. Les bases de l’OTAN, nombreuses et encore renforcées, constituent le principal fer de lance américain face à la Russie. Ce qui commence à faire débat. Sahra Wagenknecht a cartonné en le posant en termes clairs. Prolonger la guerre en Ukraine, c’est prolonger les souffrances de ce pays, c’est entraîner des coûts économiques ruineux pour l’Allemagne aussi. L’urgence, c’est d’amener les belligérants à négocier. Demander le retour d’une forme de paix, ce n’est pas plaire à Poutine, c’est au contraire mettre fin à l’élargissement de son emprise au-delà du Donbass et de la Crimée.
La diabolisation de cette position par les politiques et les médias est loin de refléter la sensibilité de toute l’opinion publique allemande. On vient de le voir, on le verra encore. Côté occidental, certes, ce sont les USA, plus que le malheureux gouvernement de Kiev, qui traceront l’avenir. Au vu de sa soumission, l’Europe des Etats ne pèse plus. Mais nombre d’Européens – pas seulement les Allemands de l’Est! – sauveront, d’une manière ou d’une autre, leur dignité.
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