Bruno Dumont réhabilite le manichéisme

Publié le 26 juillet 2024
En compétition à la Berlinale, «L'Empire» en a laissé plus d'un perplexe. Fidèle à ses obsessions, l'auteur de «L'Humanité» et «Ma Loute» est retourné dans sa France profonde du Nord pour y mêler vision sans fard de la réalité, aspirations métaphysiques et goût du burlesque sur une histoire de combat entre forces du Bien et du Mal façon «Star Wars»! Complètement dingo, est-ce pour autant génial?

Il est sans aucun doute l'un des cinéastes les plus singuliers du moment et ce film avait tout pour devenir son grand œuvre. Et pourtant, loin de la pierre philosophale espérée, L'Empire réjouit à peine. Que s'est-il donc passé? Dans un tel cas, il faut toujours commencer par soupçonner sa propre réception, un coup de mou ou un manque d'acuité intellectuelle. Mais un tour des critiques tombées lors de la présentation du film au Festival de Berlin puis à sa sortie française, y compris les plus favorables, a tôt fait de confirmer l'impression d'un film follement ambitieux mais pas vraiment réussi. Soyons clair, L'Empire vaut absolument le coup d'œil. Mais sans en attendre forcément un nouveau Messie, même lorsque l'auteur de La Vie de Jésus (1997) accouche d'une Malédiction + La Guerre des étoiles transposées sur sa chère Côte d'Opale.
Peut-être convient-il de rappeler la trajectoire de ce natif de Bailleul dans le département du Nord, qui a débuté comme prof de philosophie doublé d'un cinéaste du dimanche. Sortis de nulle part, cette Vie de Jésus au titre trompeur puis surtout L'Humanité, primé à Cannes, ont tôt installé une réputation de visionnaire fondée sur son expression de la tragique imperfection humaine face à la grandeur et la beauté du monde. Son emploi d'amateurs aux gueules et à l'élocution impossibles contraste avec un sens époustouflant du paysage et bientôt un recours frappant à des musiques préexistantes, en particulier sacrées. Ses films suivants (Flandres, Hadewijch) ont creusé ce sillon métaphysique jusqu'au sommet que constitue pour nous le méconnu Camille Claudel 1915 (2013), qui le voit pour la première fois recourir à une actrice professionnelle, Juliette Binoche.
Mais le soupçon de prétention n'a jamais été loin, certains films moins inspirés (Twe...

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