La mondialisation, cette coupable idéale

Publié le 27 avril 2020

La mondialisation, le bouc émissaire un peu facile de la pandémie de Covid-19. – Capture d’écran du trafic aérien en temps réel sur Flightradar, le 26 avril à 15 heures.

Certains semblent avoir trouvé le bouc émissaire idéal pour lui faire supporter la responsabilité de la situation actuelle: la mondialisation. Les humains auraient péché par leur volonté d’ouvrir leurs nations au commerce mondial. Pourtant, une analyse un tant soit peu sérieuse donne tort à cette accusation simpliste. Les échanges internationaux, le flux des capitaux, la recherche intercontinentale favorisent la santé de façon manifeste. Là où l’on peut être critique, c’est sur la capacité d’anticipation de nos pays, en termes de stockage de matériel sanitaire par exemple. Gare, donc, au recours à plus d’Etat et moins d’ouverture: s’il peut faire partie de la solution, l’Etat est avant tout une partie du problème.

Non seulement il doit nous être possible de critiquer certains choix gouvernementaux, dans l’esprit d’un débat ouvert et démocratique, mais nous devons aussi avoir la possibilité de critiquer certaines critiques. Et pour cause, que n’entend-on pas depuis quelques semaines. Le néocapitalisme est responsable de la pénurie de matériel sanitaire, il faut renforcer le pouvoir de l’Etat et si possible fermer le pays sur lui-même, l’épidémie permet de revenir aux fondamentaux, il faut rompre avec le libre-échange… Dans les colonnes du Temps, le philosophe-politicien Dominique Bourg ose présenter l’actualité coronavirale comme un avertissement de la nature, un appel de la déesse Gaia à plus de mesure, plus de long-terme, plus de circuits courts. Ben voyons, comme dirait l’autre!

Quelques faits. D’abord, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les voyages internationaux tendent à immuniser les individus face à des épidémies graves plutôt que de les y exposer, comme l’explique, sources à l’appui, Vincent Geloso, professeur au King’s University College. Aussi, enrichissement de l’humanité rime avec accroissement du bien-être général: il suffit de penser à la qualité de l’alimentation, à l’efficacité des soins et des services médicaux. Enfin, c’est encore plus évident, la connexion généralisée et le concurrence encouragent la recherche et l’innovation dans tous les domaines, notamment celui de la santé. Il semblerait bien que face à ces réalités qui méritent d’être rappelées, les accusations faciles – dont fait partie le procès de la mondialisation – témoignent de quelque chose de profondément enfoui dans notre temps: le manque de modestie.

«Enfermer la réalité dans nos systèmes»

«La mondialisation est sans doute en cause, commente Alain Finkielkraut dans le Figaro, mais la peste asiatique s’est répandue en Europe au Moyen Age. Cessons donc de faire les malins et de vouloir enfermer la réalité dans nos systèmes.» Toute époque a malheureusement tendance à se considérer tellement originale par rapport à celles qu’ils l’ont précédée. Le commerce n’a pas attendu l’ouverture de l’économie pour être à l’œuvre par-delà les frontières. Ni les épidémies pour se propager. Cessons de voir la patte de l’homme dans ces événements qui, justement, sont dus à quelque chose qui nous dépasse. Ceux qui prétendent s’attaquer à l’emprise de l’humain sur la nature ne voient pas qu’ils sont en fait les plus technicistes de tous, en affirmant que la crise actuelle est le fait de la mondialisation ou du capitalisme. Du reste, même les plus réactionnaires sont d’accord pour dire que s’il y a bien une chose que la modernité a améliorée, c’est la médecine.

Dans les colonnes de Causeur, l’académicien refusant de prendre le parti de l’indignation a pointé du doigt un autre paradoxe: «On tient pour rien que ces serviteurs du capitalisme, comme les appelle Michel Onfray, aient choisi de figer l’économie pour sauver les vies des plus vulnérables et qu’ils n’aient aujourd’hui qu’une obsession: ne pas se trouver, à cause de l’engorgement des hôpitaux, dans la situation de faire le tri entre les malades1.» En effet, on ne peut pas dire tout et son contraire: d’un côté, que le système sert la mondialisation néolibérale et, de l’autre, que la mondialisation néolibérale fait passer l’économie avant d’autres critères plus importants, tels que la santé. Parce que, hélas pour les indignés du dimanche, c’est exactement le contraire que fait le système. Au prix de conséquences économiques majeures, les plus graves depuis l’après-guerre!

Plus d’Etat ou plus de résultats?

Est-ce à dire que la mondialisation doit échapper à toute critique? Evidemment que non. Il s’agit de discuter des normes qui doivent l’accompagner. L’idéologie libérale – pour faire simple – est souvent associée à la volonté de supprimer des règles. Or, il faut nuancer cette idée. La libéralisation de l’économie a signifié une ouverture du commerce, oui, mais avec des règles. Concernant la gestion de l’épidémie, c’est le manque de sérieux de nos Etats – suisse, y compris – qui peut être pointé du doigt. Pour prendre le seul exemple des masques, il était prévu, suite à l’expérience des précédentes épidémies, que la Suisse dispose d’un stock suffisamment important pour l’éventualité d’une crise. Or, l’Etat n’a pas assuré le contrôle du stockage avec sérieux2. Tout cela n’a rien à voir avec la question de savoir si ces masques sont fabriqués ici ou ailleurs. Ne cédons pas à la démagogie.

Ce qui s’est passé, c’est que nous avons vu tout le monde pris de court par cette crise. Si l’Etat fait bien sûr partie de la solution pour faire sortir le pays de la crise qu’il traverse, nous ne devrions pas pour autant avoir le réflexe de nous en remettre entièrement à lui. En effet, il faudra aussi compter sur la responsabilité individuelle, sur la solidarité (qui d’ailleurs dépasse toute attente et c’est tant mieux!), sur les initiatives de toutes sortes, de toutes parts, et tout simplement sur le travail. Oui, le travail. Notre travail. Certes, il n’est pas agréable de se dire qu’il faudra peut-être tirer un trait sur les vacances d’été, mais nous devrons tous nous retrousser les manches si nous voulons sortir de ce trou économique gigantesque. Contribuer chacun à sa façon à l’intelligence de l’activité humaine!


1 Alain Finkielkraut, « La bêtise des Intelligents », Causeur n° 78, avril 2020

2 Pierre Veya, « Une erreur grave », Le Matin Dimanche, 22 mars 2020

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