Un livre qui incendie les boyaux… comme la faim

Publié le 18 mars 2019
«Personne ne peut se sentir aussi inutile qu’une mère qui n’a même pas une étincelle d’avenir à proposer à son enfant», écrit Nétonon Noël Ndjékéry, dans un récit qui met en scène l’une des pires tragédies de tous les temps. Aujourd’hui encore, la faim tue 25'000 personnes par jour, selon le rapport 2017 de la FAO. Et les variations climatiques ne vont pas arranger la donne. L’écrivain vaudois d’origine tchadienne prête sa voix aux victimes de ce scandale.

La minute mongole, c’est un petit recueil de cinq nouvelles paru aux éditions La Cheminante. On peut l’avoir lu dès sa sortie en 2014 et en garder néanmoins un souvenir tenace. Le dernier récit intitulé Maman, les cocos? laisse en particulier une empreinte indélébile. D’abord à cause de la force d’expression d’un style particulièrement imagé où aucune métaphore n’est gratuite. Dès les premières lignes, la description donne le ton:

«Avec la complicité d’une étoile en verve, un croissant de lune, plus délié qu’une lame de faucille neuve, dessine au-dessus de l’horizon un énorme point d’interrogation.»

Ensuite à cause du coup de poing que nous assène chacun de ces récits. La densité poétique de la langue ne fait qu’en rajouter, par contraste, à la violence du fond. Exactement comme la beauté du ciel tranche, dans la dernière histoire, avec l’horreur de ce qui se joue sur terre.
Il y est question d’un thème qui, hélas, traverse tous les âges et risque bien de rester encore longtemps d’actualité. Un thème qui illustre mieux que tout autre la bêtise, la désorganisation, mais aussi le cynisme et l’égoïsme d’une humanité capable de visiter l’espace, mais pas de nourrir ses enfants. Cette histoire parle de la faim. La vraie. Rien à voir avec «le petit creux d’une princesse qui a sauté un repas pour jouer jusqu’à plus soif avec sa nouvelle poupée.» La faim dont il est question, c’est «celle dont on ignore quand elle sera assouvie ni si elle le sera jamais. Ainsi le tourment du moment se trouve démultiplié par cette incertitude qui voile d’angoisse les heures à venir.»

«A quoi bon continuer à respirer quand l’air ne sert plus qu’à attiser l’inanition qui vous incendie les boyaux?», questionne l’auteur.

Dans un monde où 821 millions de personnes, soit un habitant de la planè...

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