Marcel Bascoulard, dessinateur inspiré et irréductible clochard

Publié le 22 décembre 2023
Il portait des robes, vivait en marginal, insoumis; il dessinait, encore et encore. Les Cahiers Dessinés présentent la vie et l’œuvre de Marcel Bascoulard (1913-1978) dans un ouvrage richement illustré. Les dessins de Bascoulard procurent de formidables sensations, comme s’il avait dessiné méticuleusement un décor pour mieux nous en libérer, pour nous laisser enfin penser.

Lorsqu’on regarde un dessin de Marcel Basscoulard, on est d’abord impressionné par sa précision. Chaque brique, chaque pavé, chaque touffe d’herbe est reproduit sur la feuille. Chaque fissure dans les façades, chaque nuage dans le ciel, chaque poteau télégraphique, chaque enseigne. La lumière est maîtrisée, comme l'est la perspective; les flaques d’eau semblent refléter la réalité. Oui, tout semble réel. Ensuite, arrive quelque chose d’étrange qu'on peine à définir. Il n’y a personne dans les dessins, pas d’être humain, pas d’animaux. Alors on y est projeté nous-même et là, la découverte est épatante, inspirante; ça bouge.
Bascoulard rend visible l’invisible1. Toute cette précision, cette minutie, ce réalisme formel nous emmènent dans une abstraction que l’on ressent d’abord par le mouvement. Ses dessins sont animés. La courbe d’un chemin provoque une sensation tout à la fois mentale et somatique, la pente d’une route idem, une prairie inondée devient un miroir à traverser, la cathédrale de Bourges, un insecte ventru et goulu, repu des âmes des paroissiens dévorés. Les rues sont des méandres où l’on erre libérés d'un but à atteindre, les arbres sont les racines d’un monde inversé. C’est comme si Bascoulard avait répertorié chaque élément pour mieux nous faire voir un ensemble que d'habitude on ne perçoit pas, comme s’il avait compté les pavés pour mieux nous les faire oublier, comme s’il avait dessiné méticuleusement le décor pour mieux nous en désaliéner. Et si, en se perdant dans les détails de ses dessins, on se donnait la chance de nous perdre nous-même dans notre pensée?
Marcel Bascoulard était un homme hors du commun, un grand artiste, un clochard malodorant, un marginal qui se travestissait en femme, un penseur, un poète, un voyant. Le formidable livre publié par...

Ce contenu est réservé aux abonnés

En vous abonnant, vous soutenez un média indépendant, sans publicité ni sponsor, qui refuse les récits simplistes et les oppositions binaires.

Vous accédez à du contenu exclusif :

  • Articles hebdomadaires pour décrypter l’actualité autrement

  • Masterclass approfondies avec des intervenants de haut niveau

  • Conférences en ligne thématiques, en direct ou en replay

  • Séances de questions-réponses avec les invités de nos entretiens

  • Et bien plus encore… 

Déjà abonné ? Se connecter

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Un western philosophique où les balles sont des concepts

Le dernier livre d’Alessandro Baricco, «Abel», se déroule au Far West et son héros est un shérif tireur d’élite. Il y a bien sûr des coups de feu, des duels, des chevaux, mais c’est surtout de philosophie dont il s’agit, celle que lit Abel Crow, celle qu’il découvre lors de (...)

Patrick Morier-Genoud

Respirer une fois sur deux avec Alain Huck

C’est une des plus belles expositions en Suisse cet été, à voir jusqu’au 9 septembre au Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA) de Lausanne. Alain Huck propose une promenade dimensionnelle à travers les mots et la pensée. Miroir d’un état du monde terrifiant, son œuvre est néanmoins traversée de tendresse, histoire (...)

Michèle Laird

Quentin Mouron ressaisit le bruit du temps que nous vivons

Avec «La Fin de la tristesse», son onzième opus, le romancier-poète-essayiste en impose par sa formidable absorption des thèmes qui font mal en notre drôle d’époque (amours en vrille, violence sociale et domestique, confrontation des genres exacerbée, racisme latent et dérives fascisantes, méli-mélo des idéologies déconnectées, confusion mondialisée, etc.) et (...)

Jean-Louis Kuffer

Quand Etienne Barilier débrouille les «Brouillons» de Lichtenberg

Formidable objet éditorial résultant de l’accointance éclairée des éditions Noir sur Blanc et du romancier-essaysite-traducteur-préfacier et (prodigieux) annotateur, la première intégrale en langue française des cahiers scribouillés du génial polygraphe scientifico-poétique, folle figure de sage des Lumières, apparaît, bien au-delà de ses recueils d’aphorismes, comme un «océan de pensée» fascinant (...)

Jean-Louis Kuffer

Quand Max Lobe dit le Bantou s’en va goûter chez Gustave Roud…

«La Danse des pères», septième opus de l’écrivain camerounais naturalisé suisse, est d’abord et avant tout une danse avec les mots, joyeuse et triste à la fois. La «chose blanche» romande saura-t-elle accueillir l’extravagant dans sa paroisse littéraire? C’est déjà fait et que ça dure! Au goûter imaginaire où le (...)

Jean-Louis Kuffer

Faut-il vraiment se méfier de Yuval Noah Harari?

La trajectoire du petit prof d’histoire israélien devenu mondialement connu avec quatre ouvrages de vulgarisation à large spectre, dont Sapiens aux millions de lecteurs, a suscité quelques accusations portant sur le manque de sérieux scientifique de l’auteur, lequel n’a pourtant jamais posé au savant. D’aucun(e)s vont jusqu’à le taxer de (...)

Jean-Louis Kuffer

Des Nymphéas au smartphone

Premier film de Cédric Klapisch présenté à Cannes en 35 ans de carrière, «La Venue de l’avenir» ne marque pas tant un saut qualitatif que la somme d’une œuvre à la fois populaire et exigeante. En faisant dialoguer deux époques, la nôtre et la fin du 19e siècle des impressionnistes, (...)

Norbert Creutz

Emil Cioran, une biographie en clair-obscur

Les amateurs de vertiges philosophiques connaissent l’œuvre d’Emil Cioran, auteur roumain et français. Du moins quelques-unes de ses formules ramassées et paradoxales. Il n’existait pourtant aucune biographie de ce personnage hors du commun. La voici. Signée Anca Visdei. Arrivée en Suisse, elle aussi de Roumanie, à l’âge de dix-huit ans. (...)

Jacques Pilet

Quand Julien Sansonnens décrit juste une vie dans «Une vie juste»

Après avoir traité de sujets plus dramatiques en apparence, comme dans «L’Enfant aux étoiles» évoquant la tragédie de l’Ordre du Temple solaire, l’écrivain sonde les eaux semblant paisibles, voire stagnantes d’une vie de couple approchant de la cinquantaine, mais les Suisses au-dessus de tout soupçon risquent, eux aussi, de se (...)

Jean-Louis Kuffer

L’ogre, le libraire et l’éditrice

L’année dernière sortait «Samira au pouvoir», ouvrage d’un auteur jurassien resté quelques temps mystérieux et édité, par manque de moyens, par le service d’autoédition du géant américain Amazon. Un choix qui coûtera cher à la petite maison d’édition suisse Zarka et l’entraînera dans une aventure qui rend compte des difficultés (...)

Marta Czarska

Le chant du monde selon Hodler et la griffe de Vallotton

A voir absolument ces jours en nos régions: deux expositions denses de contenu et de haute volée qualitative, consacrées respectivement à Ferdinand Hodler et quelques «proches», et à Felix Vallotton graveur sur bois. Où la pure peinture et le génie plastique subliment, pour le meilleur, toute forme d’idéologie esthétique ou (...)

Jean-Louis Kuffer

L’art jubilatoire et jaculatoire d’Armand Avril

A 99 ans, l’artiste lyonnais expose ses nouvelles créations à la galerie RichterBuxtorf de Lausanne. Des chats et des chattes, et aussi des palmiers à la forme sans équivoque. Diverses techniques sont utilisées – peinture, collages, encre… – et les supports sont d’anciens sacs de farine ou des pages de (...)

Patrick Morier-Genoud

Aux USA, la chasse aux livres «dangereux» se renforce

Des auteurs supprimés, comme Noam Chomsky ou Anne Frank. Des sujets bannis, comme l’avortement et l’homosexualité, la lutte contre les discriminations et celle contre le racisme. Nos confrères du magazine italien «L’Espresso» relatent comment, dans l’Amérique trumpienne, des bibliothèques sont épurées de livres jugés dangereux pour la suprématie américaine.

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

Hodler, la locomotive suisse de la modernité face à ses émules

Pour montrer la forte influence de Ferdinand Hodler sur plusieurs générations de peintres suisses, le Musée d’art de Pully et le Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel proposent un parcours singulier. Les thèmes iconiques du maître s’y déclinent à travers une cinquantaine d’artistes suisses de la première moitié du 20e (...)

Michèle Laird

La saignée de l’affreux «Boucher» tient de l’exorcisme vital

A partir de faits avérés, la prolifique et redoutable Joyce Carol Oates brosse, de l’intérieur, le portrait d’un monstre ordinaire de la médecine bourgeoise, qui se servait des femmes les plus démunies comme de cobayes utiles à ses expériences de réformateur plus ou moins «divinement» inspiré. Lecteurs délicats s’abstenir…

Jean-Louis Kuffer