Comme la Suisse romande, l’Afrique francophone se passionne pour les élections françaises

Publié le 8 avril 2022
A Lausanne ou à Abidjan, les présidentielles françaises suscitent le même engouement. Chacun et chacune s’emporte, vante les mérites de «son» candidat, en dézingue d’autres. Comme si il ou elle avait le droit de voter en France.

Même si l’invasion russe en Ukraine a relégué les élections présidentielles françaises au second plan, celles-ci continuent à passionner les Suisses romands. Les correspondants en France sont mis à contribution; et entre amis, au bistrot, en famille, les débats sont hauts en couleurs entre partisans de Macron, Marine Le Pen, Mélenchon ou Zemmour. 

En Afrique francophone, on assiste au même scénario: la courbe des sondages, chaque rebondissement dans la campagne, sont commentés dans les salons climatisés ou les «maquis» d’Abidjan, Cotonou et Yaoundé. La politique nationale, elle, suscite davantage de ricanements désabusés ou de lassitude, dans un contexte où les présidents s’accrochent généralement au pouvoir, en recourant au bourrage des urnes, au «tripatouillage» de la Constitution, au musèlement de l’opposition. 

Que ce soit en Suisse ou en Afrique francophone, on apprécie généralement la vivacité des joutes oratoires auxquelles se livrent les politiciens français, même si parfois, leur violence laisse pantois. Vue d’Afrique, l’arrivée tonitruante d’un Eric Zemmour sur la scène politique porte un sacré coup à l’image du pays. «Je suis inquiet pour la France et crains qu’elle ne sombre», me confiait l’autre jour un cadre béninois qui a fait l’essentiel de sa carrière au sein des organisations internationales; il se dit effaré par le manque de culture de certains candidats qui semblent ignorer que les «Français de souche» ne représentent pas plus de 10% de la population.

«Pourquoi les Sénégalais ne maraboutent-ils pas Zemmour?», lance de son côté l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti sur sa page Facebook, après que le «condamné multirécidiviste» ait déclaré que «la plupart» des délinquants étrangers en France sont d’origine sénégalaise, et qu’ils seront «renvoyés chez eux» s’il était élu. L’écrivain qui fut en 2010 lauréat du Prix littéraire Ahmadou Kourouma remis chaque année au Salon du livre de Genève, demande aux marabouts sénégalais de «remettre le prétentieux à sa place», faute de quoi, les Béninois pourraient s’en charger, «pour lui servir les charmes sophistiqués de leur vodun». L’animateur vedette de Radio France Internationale (RFI) Claudy Siar avait également poussé un coup de gueule retentissant contre Zemmour «qui crache sur les Français musulmans et tous les Afros», alors que Vincent Bolloré, dont il est la créature «fait le gros de son chiffre d’affaires en Afrique». 

Mais c’est aussi Emmanuel Macron qui fascine, voire irrite. Ce président si jeune est scruté de près, lui qui fait marcher au doigt et à l’œil ses homologues d’Afrique francophone bien plus âgés, sans trop s’embarrasser du respect dû aux «anciens». Son bras de fer avec l’actuel homme fort du Mali, Assimi Goïta, qui ose défier la France, fait également l’objet de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. «Nous suivons de près les élections françaises car nous voulons savoir à quelle sauce nous serons mangés», ironise un journaliste sénégalais. Mais sans se faire aucune illusion: «Nous avons vu Mitterrand et Hollande à l’œuvre, et nous savons désormais que quel soit le président élu, seuls les intérêts de la France en Afrique primeront».

Cela n’empêche pas les uns et les autres de suivre en direct les grands débats de la campagne, de donner leur avis, comme si à Dakar ou Lomé, on avait le droit de voter en France. Une situation très similaire à celle qui prévaut à Genève ou Neuchâtel, où des «colonisés francophones» partagent la même passion pour la politique française. Et sont pareillement victimes de l’ignorance de leurs réalités de la part des Français, aux yeux desquels ils sont aussi exotiques les uns que les autres. Lorsqu’ils rencontrent des Suisses romands ou des Africains francophones, les Français sont d’ailleurs toujours un peu éberlués de constater l’incroyable engouement que suscite leur vie politique, qui les exaspère parfois eux-mêmes. 

Tard dans la touffeur de la nuit abidjanaise, les conversations ne faiblissent pas, cette fois, à propos de Marine Le Pen, dont l’écart avec Macron s’amenuise au fil des sondages. Les opinions diffèrent: il y a celles et ceux qui craignent de nouvelles mesures, rendant la vie de leurs parents et amis dans l’Hexagone encore plus difficile, voire impossible. D’autres au contraire appellent de leurs vœux l’arrivée de la fille de Jean-Marie à la présidence, ce qui permettrait de «clarifier les choses de part et d’autre». Car si Marine veut chasser les Africains de France, il s’agira de mettre en œuvre un principe de réciprocité. Et de prier les dizaines de milliers de Français vivant et travaillant en Afrique dans des conditions privilégiées de rentrer chez eux. «La France aux Français? D’accord, mais alors, l’Afrique aux Africains», s’exclame avec tristesse une étudiante qui rêve d’aller passer ses vacances en France.  

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Moldavie: victoire européenne, défaite démocratique

L’Union européenne et les médias mainstream ont largement applaudi le résultat des élections moldaves du 28 septembre favorable, à 50,2 %, à la présidente pro-européenne Maia Sandu. En revanche, ils ont fait l’impasse sur les innombrables manipulations qui ont entaché le scrutin et faussé les résultats. Pas un mot non (...)

Guy Mettan

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

La stratégie de Netanyahu accélère le déclin démocratique d’Israël

Le quotidien israélien «Haaretz» explique comment l’ancien Premier ministre Naftali Bennett met en garde les forces de sécurité et les fonctionnaires contre une possible manipulation du calendrier électoral et la mainmise de Netanyahu sur l’appareil sécuritaire.

Patrick Morier-Genoud

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Plaidoyer pour l’humilité intellectuelle

Les constats dressés dans le dernier essai de Samuel Fitoussi, «Pourquoi les intellectuels se trompent», ont de quoi inquiéter. Selon l’essayiste, l’intelligentsia qui oriente le développement politique, artistique et social de nos sociétés est souvent dans l’erreur et incapable de se remettre en question. Des propos qui font l’effet d’une (...)

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

Quand la France et l’UE s’attaquent aux voix africaines

Nathalie Yamb est une pétroleuse capable de mettre le feu à la banquise. Elle a le bagout et la niaque des suffragettes anglaises qui défiaient les élites coloniales machistes du début du XXe siècle. Née à la Chaux-de-Fonds, d’ascendance camerounaise, elle vient d’être sanctionnée par le Conseil de l’Union européenne.

Guy Mettan

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Les fonds cachés de l’extrémisme religieux et politique dans les Balkans

L’extrémisme violent dans les Balkans, qui menace la stabilité régionale et au-delà, n’est pas qu’idéologique. Il sert à générer des profits et est alimenté par des réseaux financiers complexes qui opèrent sous le couvert d’associations de football, d’organisations humanitaires et de sociétés actives dans la construction, l’hôtellerie ou le sport. (...)

Bon pour la tête

Gaza: interdire les mots pour mieux nier la réalité

La ministre déléguée française Aurore Berger voudrait bannir le terme de génocide pour ce qui concerne l’action du gouvernement israélien à Gaza. Comme si le monde entier ne voyait pas ce qu’il s’y passe et alors même qu’en Israël des voix dénoncent courageusement l’horreur.

Patrick Morier-Genoud