Zemmour réactive la haine des protestants

Publié le 25 février 2022
Zemmour, encore Zemmour! Z’êtes pas fatigué, non? Si, bien sûr. Ce Don Quichotte des passions tristes flanquerait le cafard à un setter irlandais. Mais voilà, médiacrate, création et créature des médias, surpassant en provocation les autres gueulocrates, Eric Zemmour occupe le devant de la campagne présidentielle française, avant l’entrée en scène du Grand Favori. Bien obligé d’en tenir compte.

La semaine passée, nous présentions le remarquable «Tract» de seize historiens qui ont relevé méthodiquement les principaux mensonges que Zemmour profère par sa captation tordue de l’Histoire1. Nous avons gardé pour la bonne bouche, un aspect méconnu du discours zemmourien exhumé par ces historiens: sa détestation des protestants.

Dans le Panthéon des haines d’Eric Z., les fidèles de la Réforme figurent en bonne place à côté des femmes, des musulmans, des étrangers, des immigrés, des démocrates républicains et autres partisans des droits humains.

La Saint-Barthélemy? Un boulot bâclé par une femme!

Par son Suicide français (Albin Michel), Zemmour glorifie «l’implacable Richelieu» qui a soumis dans le sang la citadelle protestante de La Rochelle causant la mort de plus 20’000 personnes. De même, il regrette que le travail ne fût pas fini à l’issue du massacre de masse (10’000 tués) subi par les protestants lors de la Saint-Barthélemy, comme le précisent les auteurs de Zemmour contre l’Histoire dans l’extrait ci-dessous:

«Plongeons dans sa lecture du massacre. A ses yeux, les musulmans sont les nouveaux huguenots; l’enjeu souterrain de la Saint-Barthélemy, c’est donc le prétendu grand remplacement. Le massacre est un geste de résistance, par lequel la France catholique refuse de céder devant l’envahisseur protestant, venu d’Allemagne – même si Calvin est en réalité Picard. Il faut donc en finir par la force avec les minorités avant que celles-ci n’en finissent avec nous. Comme toujours, Eric Zemmour inverse les rôles, transformant les victimes en bourreaux.»

Si la Saint-Barthélemy n’est pas parvenue à éradiquer la foi réformée en France, c’est, dans la tête de Zemmour, à cause d’une femme, Catherine de Médicis, qui, à l’image de «nos élites» s’est montrée «hésitante» et «tolérante». Il a fallu que la poigne des hommes, des vrais, terminât la besogne huguenoticide, à savoir le cardinal de Richelieu (la prise de La Rochelle) et Louis XIV (Révocation de l’Edit de Nantes).

Une détestation logique

Les historiens relèvent encore nombre de bourdes zemmouriennes concernant les huguenots. On peut s’étonner, à première vue, que les protestants – minoritaires et fort discrets en France – soient l’objet d’attaques de la part de Zemmour.

Pour stupide qu’elle puisse paraître, cette détestation n’en obéit pas moins à la logique rhétorique de l’extrême-droite française. Six ans et demi avant lui, Marion Maréchal Le Pen – qui hésite encore à quitter le giron de sa tante pour soutenir son rival de l’extrême – avait commis ces propos le 5 juillet 2015:

«La Provence est une terre d’identité et de résistance. Résistance des princes provençaux face à l’invasion sarrasine, résistance face à la terreur révolutionnaire, face à la réforme protestante, face à l’occupant allemand, face au funeste projet de l’Union européenne en 2005.»

La Réforme mise sur le même pied que l’occupation allemande, l’héritière du clan Le Pen ne manque pas d’air! Certes, elle a dû rétropédaler à la suite de cette monstrueuse comparaison, sans doute sur l’insistance de sa tante alors en pleine «dédiabolisation». Toutefois, c’est bien sa conviction profonde que Marion Maréchal Le Pen exprimait.

Aux sources de Charles Maurras

Une conviction qui provient de la pensée de Charles Maurras (1868-1952), royaliste, concepteur du «nationalisme intégral», pétainiste et figure historique de l’extrême-droite française. 

Notamment dans l’un de ses derniers ouvrages intitulé Pour un jeune Français, paru en 1949, Maurras désigne ce qui furent ses principales ennemies, à savoir les jumelles République et Révolution. Ces abominations ne sont pas nées de la France mais furent mise bas par ce que Charles Maurras nomme l’«anti-France»; elle est constituée, selon lui, par quatre «Etats confédérés»: les juifs, les francs-maçons, les «métèques» (soit les étrangers) et les protestants.

Ces quatre «Etats confédérés» ont, en effet, tenu des rôles majeurs dans l’instauration de la République. Et c’est, entre autres, par l’action des juifs, des protestants et des francs-maçons que la loi de 1905, séparant l’Eglise de l’Etat, a été instaurée en France. Une loi vouée aux gémonies par l’Action Française de Charles Maurras.

La différence entre Zemmour et Marine Le Pen

Systématiquement, Eric Zemmour réinvestit toutes les armes idéologiques forgées par Charles Maurras à la fin du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème. On aurait pu croire qu’étant juif lui-même, Zemmour aurait laissé tomber l’aspect antisémite mais il le sort de l’ombre en réhabilitant l’action de Pétain, dont le régime a créé les lois antisémites avant que l’occupant nazi ne le lui demande. Pour Z. il en va de la cohérence de son discours.

Alors qu’il se trouve sur la même rive idéologique que Marine Le Pen, Zemmour développe une stratégie très différente et vise un autre électorat.

La cheffe du Rassemblement national développe une rhétorique à la fois nationaliste et sociale pour flatter le vote ouvrier. Zemmour, lui, vise plus riche et plus diplômé. Il ne cache pas que la pensée d’Antonio Gramsci (1891-1937) l’a marqué et l’influence encore2. Le communiste italien préconise d’occuper le terrain culturel comme préalable à toute action révolutionnaire. C’est ce que fait Zemmour en puisant aux sources idéologiques de l’extrême-droite française qu’il expose sur le terrain culturel et médiatique pour leur donner une nouvelle vie.

C’est la bourgeoisie intellectuelle catholique de la droite classique – qui constituait le vivier principal du maurrassisme – que Zemmour cherche avant tout à séduire, car c’est elle qui est l’un des principaux agents dominants de la société française.

En cela, il est faux de classer Zemmour parmi les populistes, contrairement à Marine Le Pen qui tient à sa clientèle populaire en abandonnant à Eric Z. une partie importante des marottes idéologiques de Maurras.

Dès lors, la démarche d’Eric Zemmour paraît moins électorale et plus contre-révolutionnaire.


1«Zemmour contre l’Histoire», Tracts Gallimard No. 34

2Eric Zemmour n’est pas le seul nationaliste à utiliser la pensée de Gramsci. Il est étrange de constater qu’en France ce grand théoricien marxiste – dont Mussolini avait dit qu’il fallait «enfermer le cerveau» – a plus inspiré l’extrême-droite que l’extrême-gauche.

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