Trump II sera-t-il davantage offensif en Afrique?

Publié le 15 novembre 2024
Lors de son premier mandat, Donald Trump n’a pas mis les pieds en Afrique, contrairement à ses prédécesseurs qui y avaient multiplié les visites officielles. Mais l’ex et futur président des Etats-Unis pourra-t-il se permettre de regarder de loin ses homologues russe et chinois faire main basse sur un continent qui regorge de minerais stratégiques?

Donald Trump ne porte guère d’intérêt à l’Afrique: c’est un fait avéré, tout comme l’est sa profonde méconnaissance des pays de ce continent, qu’il avait globalement qualifiés de «shitholes countries» – un qualificatif qui a durablement marqué les esprits. Lors d’un dîner organisé en 2017 en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, il avait même interloqué ses invités en déclarant, devant un parterre de chefs d’Etat africains: «L’Afrique a un potentiel commercial énorme; j’ai plein d’amis qui vont dans vos pays pour devenir riches, je vous félicite: ils dépensent beaucoup d’argent». Au cours de la même soirée, il avait félicité le «Nambia» pour ses réussites dans le domaine de la santé, un pays inconnu au bataillon.

Pékin et Moscou à l’offensive

Aujourd’hui, Pékin comme Moscou sont à l’offensive. Début septembre, une cinquantaine de dirigeants africains avaient ainsi été reçus en grande pompe par Xi Jinping à l’occasion du Forum pour la coopération sino-africaine qui a lieu tous les 3 ans, point fort de relations diplomatiques et économiques qui n’ont cessé de se développer. Les entreprises chinoises investissent les mines de lithium du Zimbabwe, celles de coltan et de cobalt de la République démocratique du Congo (RDC), et multiplient les contrats de BTP. Quant au Sommet Russie-Afrique qui s’est déroulé le week-end dernier à Moscou, il a également enregistré un nombre record de participants au plus haut niveau. A cette occasion, Vladimir Poutine a assuré les pays africains d’un «soutien total».

Lors de ces forums, Pékin comme Moscou rivalisent d’injonctions anti-occidentales, tout en se présentant comme des remparts au néo-colonialisme. Conséquences diplomatiques de ces bonnes relations: la plupart des pays africains refusent toujours de condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et se gardent de toute critique à l’égard de la Chine concernant le sort des Ouïghours ou celui de Hong Kong. La nouvelle administration américaine va-t-elle s’engager davantage en faveur du continent africain pour y contrer l’influence russe et chinoise? Un des points sur lesquels Donald Trump est particulièrement attendu est celui de la prolongation de l’AGOA, l’African Growth and Opportunity Act, qui permet à des pays «amis», respectant certains critères, d’exporter leurs produits vers les Etats-Unis sans payer de taxes. Or, lors de son premier mandat, il avait déclaré que le programme ne serait pas renouvelé à son expiration en 2025. Une perspective qui inquiète plusieurs pays, parmi lesquels l’Afrique du Sud, l’un des plus grands exportateurs vers les Etats-Unis dans le cadre de l’AGOA.

Quelles conséquences du retour de Trump?

L’Afrique du Sud fait en tout cas partie des pays africains qui voient avec appréhension un retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Son président Cyril Ramaphosa est en effet mal vu de certains ténors du Parti républicain pour avoir déposé une plainte contre l’Etat d’Israël auprès de la Cour internationale de justice. Des tensions entre les deux pays étaient déjà apparues lors du premier mandat de Donald Trump, lequel avait dénoncé ce qu’il appelle la «confiscation des terres aux fermiers blancs», surfant sur les théories de «génocide des Blancs» également partagées par un certain…Elon Musk. 

La victoire éclatante de Donald Trump à la tête des Etats-Unis oblige l’Afrique, comme le reste du monde, à imaginer les conséquences que cela va entraîner. Le président américain se montrera-t-il par exemple plus conciliant que l’administration Biden à l’égard des régimes dictatoriaux et des présidents à vie, comme le font la Chine et la Russie? L’Ouganda, mis à l’indexe par les USA en raison d’une loi condamnant à la peine de mort l’«homosexualité aggravée», sera-t-il réhabilité par l’Oncle Sam? Autre motif d’inquiétude: Donald Trump va-t-il à nouveau, comme il l’avait fait lors de son premier mandat, supprimer par décret toute aide médicale aux organisations qui pratiquent ou font la promotion de l’avortement? Et retirer à nouveau les Etats-Unis de l’OMS, une décision que Joe Biden avait annulée?

Des craintes et des espoirs

La crainte de voir Trump s’opposer à ce que l’Afrique dispose de deux sièges permanents au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies – ce que l’administration Biden a soutenu dans le cadre des discussions portant sur une hypothétique réforme du Conseil – est également partagée sur le continent africain. Tout comme le retrait potentiel des Etats-Unis des Accords de Paris sur le climat et l’hostilité de la nouvelle administration au principe de réparations climatiques demandé par les pays dits du Sud – un des principaux enjeux de la COP29 qui se tient actuellement à Bakou.

Les rodomontades de Donald Trump durant sa campagne, affirmant qu’il mettrait rapidement fin aux conflits dans le monde, suscitent en revanche quelque espoir. L’entourage du président congolais Félix Tshisekedi espère ainsi que les Etats-Unis vont davantage s’impliquer pour trouver une solution à la guerre qui ravage l’est de la RDC, alors que les troupes du M23, soutenues par le Rwanda, poursuivent leur offensive dans le Nord Kivu. «Le président Trump a été clair là-dessus, il va mettre fin aux guerres qui existent», a déclaré Tina Salama, porte-parole du président Tshisekedi. Des espoirs qui risquent cependant d’être déçus, tant il est peu probable que les Etats-Unis renoncent à leur soutien au Rwanda et à son président Paul Kagame. Peu de chance également que Donald Trump se préoccupe davantage que son prédécesseur de la guerre civile au Soudan.

Africa First?

Mais l’ex-nouveau président américain est tellement imprévisible qu’il ne faut jurer de rien. Tout particulièrement dans ce contexte où la Chine et la Russie multiplient les initiatives en direction de l’Afrique. Reste que sur le continent, on entend également des voix qui se réjouissent de l’arrivée de Trump et de son «America First», en espérant que cela inspirera les présidents africains à promouvoir le slogan «Africa First», et renoncer, enfin, à compter sur l’extérieur pour résoudre ses problèmes.

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