Publié le 21 juillet 2023
Certains pays africains, comme le Burkina Faso, se tournent désormais résolument vers des pays mis à l’index par les Occidentaux, tels la Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela, la Russie. Le président russe compte sur une participation massive des pays africains au Sommet Russie-Afrique qui s’ouvre la semaine prochaine à St-Pétersbourg, afin de prouver aux pays occidentaux qu’il n’est ni isolé ni fragilisé. Visé par la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre, Vladimir Poutine vient pourtant de renoncer à se rendre au mois d’août au Sommet des BRICS en Afrique du Sud, par crainte d’y être arrêté.

Le Burkina Faso fut pendant des décennies le pays «chouchou» des Suisses, qui s’y pressaient en nombre pour travailler dans la coopération au développement, visiter ou simplement vivre au «pays des hommes intègres». Mais au cours de ces dernières années, l’environnement politique, social, a bien changé – dans la foulée du renversement du président Blaise Compaoré; suivi de plusieurs coups d’Etat, accompagnés d’une défiance croissante à l’égard des Occidentaux en général et de la France en particulier, dont les 300 soldats des forces spéciales qui y étaient stationnés ont tous été chassés, et l’ambassadeur rappelé.

La Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela, la Russie au lieu des pays de l’UE

Aujourd’hui, le président de la transition au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, assume pleinement sa volonté de se tourner vers de nouveaux partenaires non-occidentaux, objets, pour certains, de sanctions internationales. Fin mars, le gouvernement a ainsi annoncé le rétablissement de ses relations diplomatiques avec la Corée du Nord où devrait prochainement se rendre une délégation de haut niveau. Tandis que le 17 mai, le Burkina Faso informait de la réouverture de son ambassade à Téhéran, en République islamique d’Iran. C’est également au mois de mai dernier que le Premier ministre burkinabè Apollinaire Kyelem de Tambèla s’est rendu en visite officielle au Venezuela, d’où il a appelé la communauté internationale «à lever les sanctions prises à l’encontre de ce pays, car elles entravent son développement».

Dans un contexte où la France et l’Union européenne, pourtant très généreuses en la matière à l’égard de l’Ukraine, refusent de fournir au Burkina les armes dont ce pays aurait besoin pour armer les milliers de volontaires engagés pour préserver son intégrité terrirtoriale face aux attaques djihadistes, Ouagadougou a également renforcé ses liens avec la Turquie et la Russie pour obtenir le matériel militaire qui lui fait cruellement défaut.

Sommet Afrique-Russie: Poutine veut démontrer qu’il n’est ni isolé ni affaibli…

La coopération militaire sera d’ailleurs un des thèmes importants à l’agenda de la deuxième édition du Sommet Russie-Afrique qui se tiendra la semaine prochaine, les 27 et 28 juillet, à St-Pétersbourg, sous le slogan «Pour la paix, la sécurité et le développement». Selon le narratif diffusé depuis des mois par Moscou, la Russie entend y promouvoir l’avènement d’un nouvel ordre mondial, débarrassé de la tutelle américaine et occidentale, où la coopération russo-africaine aurait toute sa place.

Un nombre important de délégations sont en tout cas annoncées, dont certaines au plus haut niveau, malgré la guerre en Ukraine, malgré les pressions exercées sur nombre d’entre elles pour les dissuader de s’y rendre. Le 18 juillet, depuis Moscou, l’ambassadeur éthiopien en Russie Uriet Cham Ugala encourageait ses pairs à y participer, rappelant que «lorsque les pays africains luttaient contre le néocolonialisme, c’est la Russie qui les soutenait». Tout en reprenant à son compte le narratif de Vladimir Poutine sur «un monde unipolaire en train de céder sa place à un monde multipolaire».

Le président russe compte en tout cas sur une forte présence des chefs d’Etat du continent africain pour montrer aux Occidentaux qu’il n’est ni isolé ni affaibli. Pour y parvenir, il a notamment envoyé à deux reprises en début d’année son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en tournée en Afrique. Pour y encourager les présidents à se rendre à St-Pétersbourg la semaine prochaine, avec force promesses à l’appui, y compris celle de livrer gratuitement des céréales à certains pays africains, malgré la fin de l’accord céréalier.

… mais renonce à se rendre au Sommet des BRICS par crainte d’être arrêté

Un point qui ne figure cependant pas officiellement à l’ordre du jour du Sommet Afrique-Russie des 27 et 28 juillet, mais qui sera présent dans tous les esprits, c’est le sort réservé à Evgueni Prigojine, que plus personne n’a aperçu depuis sa tentative de coup de force, tandis que se multiplient les rumeurs prétendant qu’il a été tué. Reste que le mercredi 19 juillet, dans une mystérieuse vidéo publiée sur une chaîne Telegram, alors qu’il n’avait pas pris la parole depuis le 24 juin, Evgueni Prigojine aurait annoncé que ses mercenaires ne combattront plus en Ukraine mais se dirigeront vers l’Afrique. Info ou intox? Le maître du Kremlin cherche en tout cas à reprendre en main les combattants de Wagner; pour les placer sous la tutelle de l’armée russe ou celle d’autres compagnies militaires privées? La tâche s’avère en tout cas ardue. Car outre les activités militaires menées avec l’appui de l’armée russe, démêler l’entrelacs de sociétés privées créées par Wagner ou dans lesquelles Prigojine possède des parts, représente un véritable casse-tête. 

Outre la grand’messe de St-Petersbourg, le Sommet des BRICS qui doit se tenir en Afrique du Sud les 22 et 23 août représentait également un enjeu important pour Vladimir Poutine. Allait-il y participer, et courir le risque de s’y faire arrêter, compte tenu du mandat d’arrêt émis contre lui en mars dernier par la Cour Pénale Internationale (CPI), l’accusant de crime de guerre pour la déportation illégale d’enfants d’Ukraine vers la Russie? Théoriquement, l’Afrique du Sud, membre de la CPI, aurait pu et dû l’arrêter dès qu’il aurait posé un pied sur son territoire. Mais à plusieurs reprises ces derniers temps, le président sud-africain Cyril Ramaphosa avait fait savoir qu’il était hors de question d’arrêter Vladimir Poutine lors du Sommet des BRICS, qui unit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud dans une même volonté de peser davantage sur les affaires du monde. Et de tenir tête aux diktats des Occidentaux, souvent perçus par les non-occidentaux comme relevant du «deux poids deux mesures» et d’un sens de la justice à géométrie variable. Las. Le mercredi 19 juillet, le bras de fer prenait fin, piteusement, par le renoncement de Vladimir Poutine à se rendre à Johannesbourg, craignant, malgré tout, de se faire arrêter. Après la tentative de coup d’Etat de Prigojine le 24 juin dernier, cette reculade à la veille du Sommet Afrique-Russie, fait à nouveau vaciller l’image du maître du Kremlin sur son piédestal.

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