Quand les grands jouent avec le feu

Publié le 29 novembre 2024
La troisième guerre mondiale en vue? On peut voir dans ce qui se passe ces jours «une tempête dans un verre d’eau», comme disent des généraux de plateau sur une télé française. Ou des menaces de part et d’autre à prendre au sérieux. Les opinions publiques ont plutôt tendance à considérer cela d’un œil distrait par tant d’autres drames, ou comme une série TV compliquée dont on a attend la fin avachi sur le divan. Rappel des faits. Et rappel de l’histoire.
  • L’Ukraine a été autorisée par ses soutiens à tirer vers la Russie non plus seulement des drones – 39 ont été détruits la nuit dernière – mais aussi des missiles sophistiqués, guidés par satellites et par des experts américains. Ils ont été aussitôt engagés contre le territoire russe, à des centaines de kilomètres de la frontière.
  • Poutine a répondu par un discours menaçant l’Europe occidentale et l’envoi, à titre de démonstration, d’un missile hypersonique dernier cri sur un dépôt d’armes en Ukraine.
  • Le président Macron et le Premier ministre britannique Starmer, lors d’une rencontre en commémoration de l’Armistice de 1918, ont envisagé la possibilité d’envoyer des troupes au sol en soutien aux Ukrainiens si Trump réduit le sien.
  • L’amiral Rob Bauer, Hollandais, président du comité militaire de l’OTAN vient de déclarer, à Bruxelles, un «changement de posture» dont il se réjouit. Citation: «Jusque là, en tant qu’alliance défensive, nous détruisions les missiles qui nous attaquent. Il est plus intelligent d’aller frapper « l’archer », la Russie. Il faut donc une combinaison de frappes de précision en profondeur. C’est un sujet relativement récent au sein de l’OTAN.»
  • Par ailleurs, l’OTAN recommande aux entreprises des pays membres de s’équiper en abris de protection pour le cas d’une guerre généralisée.
  • Le gouvernement suédois distribue un tous-ménages informant le public sur les mesures pratiques à prendre en cas d’attaque du pays. L’administration allemande lance, elle aussi, de telles consignes de sécurité.

La question ici – à chacun son opinion – n’est pas de savoir qui a raison ou tort, qui a commencé l’escalade. Celle-ci est clairement engagée. Nul ne sait où elle conduira. Nul ne peut nier qu’elle présente des risques. Ce renforcement récent de l’offensive anti-russe serait du à la perspective de voir Trump préférer la négociation avec Moscou. Il s’agirait de créer une situation si grave qu’elle en deviendrait irréversible, qu’elle interdirait le dialogue. Possible. De là à banaliser les menaces croisées…

Comment se peut-il que les puissances impliquées manifestent, en actes et en mots, une telle hubris? Le terme grec qui s’oppose à la notion de tempérance et de raison, qui désigne l’outrance, l’orgueil et la démesure. Les dirigeants actuels connaissent-ils ce mot? Et surtout l’histoire de notre continent? Poutine sans doute, pour le meilleur et pour le pire. Les Occidentaux auraient-ils la mémoire courte? Se souviennent-ils du début de l’abominable Première guerre mondiale dont aucun Etat ne voulait quelques semaines encore avant son déclenchement? L’échauffement médiatique – déjà! – a pourtant conduit à une boucherie de quatre ans.

Exemple opposé et plus récent: la crise des missiles à Cuba en 1962, au paroxysme de la guerre froide. L’URSS se préparait à lui fournir ces engins, qui seraient postés à 200 km des Etats-Unis. Ceux-ci, furieux, menacèrent de frapper jusqu’à Moscou. Puis intervint une négociation, notamment grâce à l’entregent du remarquable ambassadeur de Suisse à La Havane, Emil Stadelhofer, et de son collègue à Washington, August Lindt qu’avait sollicité le Département d’Etat. Dix jours plus tard, un accord était trouvé entre Kennedy et Khrouchtchev. Les Soviétiques renonçaient à livrer des missiles à Fidel Castro, qui se montra d’ailleurs fort dépité. Les Américains quant à eux acceptaient de retirer leurs fusées à tête nucléaire de Turquie et d’Italie. Tiens, tiens… déjà une histoire d’engins redoutables aux frontières des empires. Les USA s’engageaient aussi, après la tentative avortée de 1961, à ne plus jamais envahir Cuba sans provocation directe. Enfin il était établi un téléphone rouge entre Washington et Moscou.

Heureusement il en existe encore un aujourd’hui. Au moins entre Trump et Poutine.

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