Publié le 11 août 2023
Jamais un coup d’Etat en Afrique – il y en eut tant! – n’a provoqué un tel déferlement d’informations. Parce que l’enjeu géostratégique, il est vrai, apparaît de plus en plus clairement. Mais dans tout ce que l’on lit et entend, il y a des trous étranges. Ainsi je ne vois aucune discussion sur la question de la légitimité d’une éventuelle intervention armée contre la junte qui a pris le pouvoir au Niger. Qui serait donc déclenchée, avec l’appui de la France – fort mal prise dans cette affaire –, par la CEDEAO, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest. Son but officiel? «Promouvoir l'idéal d'autosuffisance collective de ses membres et viser également à créer un grand bloc commercial unique par le biais de la coopération économique». De quel droit une telle association pourrait-elle déclencher une guerre contre un pays dont le gouvernement déplaît soudain?

Ces temps-ci les Occidentaux ne cessent de répéter, non sans raison, combien le droit international, le respect des frontières nationales sont essentiels à l’équilibre du monde. Fort bien. Mais là, au Niger, on envisage de bazarder d’un coup ces principes? Plus question de feu vert du Conseil de sécurité des Nations-Unies! Allez-y les gars! Renversez donc ces méchants militaires!

Ladite intervention n’aura pas lieu. Parce qu’au sein de la CEDEAO, certains gouvernements s’y opposent, dans d’autres c’est l’opinion publique qui la voit d’un très mauvais œil. Même au Nigeria qui était en pointe. Même au Sénégal, le chouchou de la France, où la tension politique intérieure est extrême à l’approche des élections: l’accès à internet sur les portables y a été coupé, l’irritation populaire est grande.

Nombre d’experts disent le risque qu’aurait une telle opération militaire d’enflammer une Afrique saisie de colère anti coloniale, le risque aussi que les groupes islamistes qui rongent ces pays tirent profit du chaos annoncé.

Il y a un autre aspect de la donne qui est bien peu ou pas évoqué dans le vacarme des médias. C’est le rôle des Etats-Unis. Qui ont encore plus de mille soldats au Niger, reclus sur leurs bases. Dont ils ne sortaient guère avant le putsch, peu enclins à crapahuter dans le désert contre les rebelles, préférant gérer des systèmes électroniques d’observation qui, soit dit en passant, n’ont pas suffi à prévenir les services de renseignements des intentions de l’armée locale. Il faut lire Foreign Policy pour prendre la mesure de l’embarras américain. On y apprend que l’un des chefs du coup d’Etat, le général de brigade Moussa Salaou Barmou, a été formé outre-Atlantique dans le cadre d’un vaste programme du Département de la Défense US. Comme des dizaines d’officiers africains. Dont sept au moins se sont retrouvés au sein de juntes militaires putschistes. L’éditorialiste du magazine, Matthew Koenig, directeur aussi de l’«Atlantic Council’s Scowcroft Center for Strategy and Security» se désole et constate l’échec de cette politique d’influence. Mais pourquoi diable celle des Russes paraît-elle avoir plus de succès? Le revers a de quoi secouer Washington. Sa représentante envoyée en hâte à Niamey, Victoria Nuland, a reçu un accueil glacial. Celle-là même qui tire depuis longtemps tant de ficelles à Kiev subit un camouflet en Afrique. Mais les manœuvres continuent dans l’ombre.

Autre «oubli» dans le panorama généralement dressé. L’alarme internationale est grande à propos du Niger car ce pays se trouve sur le trajet du gazoduc prévu et déjà entrepris qui doit relier le Nigeria, avec ses réserves gigantesques de gaz naturel, à l’Algérie. Puis à l’Europe. Européens et Américains s’apprêtent à investir des milliards dans le projet, devenu vital depuis le sabotage de Nord Stream et l’arrêt de la fourniture russe. Si le nouveau pouvoir de Niamey stoppe ce transit, ou le freine, ou renchérit l’opération, cela fera mal. D’où la tentation, pour tant de pays, de le renverser. A moins qu’au bout du compte, tous acceptent la nouvelle donne au nom de leurs intérêts très concrets, d’un bout à l’autre de la chaîne.

Et l’uranium, ce trésor du NIger? Pour l’entreprise française qui l’exploite, Orano (ex-Areva), quel désastre… Paris assure pouvoir s’en passer. Il est vrai que le précieux combustible des centrales nucléaires n’est pas inclus dans les sanctions contre la Russie qui continue d’en fournir à la France. L’hypocrisie n’a pas de limites.

Enfin on peut s’étonner qu’un autre «détail» soit peu évoqué: le Niger utilise, comme quinze autres pays d’Afrique occidentale, le franc CFA. La monnaie créée par la France au moment de la décolonisation. Elle est arrimée à l’euro, gérée par la Banque de France qui détient ces réserves. Cela fait grincer depuis longtemps au sud du Sahara… Si les putschistes nigériens relancent l’idée d’en sortir et de se tourner vers une autre devise, cela fera hurler à Paris. Dont on voit, sur ce sujet aussi, les raisons de s’alarmer. Alors la belle chanson sur le but proclamé, «le rétablissement de la démocratie», merci, mais basta.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
Accès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan

Jean-Stéphane Bron plaide pour une diplomatie «de rêve»

Plus de vingt ans après «Le Génie helvétique» (2003), puis avec l’implication politique élargie de «Cleveland contre Wall Street» (2010), le réalisateur romand aborde le genre de la série avec une maestria impressionnante. Au cœur de l’actualité, «The Deal» développe une réflexion incarnée, pure de toute idéologie partisane ou flatteuse, (...)

Jean-Louis Kuffer

La loi du plus fort, toujours

Le mérite de Donald Trump est d’éclairer d’une lumière crue, sans fioritures, la «loi du plus fort» que les Etats-Unis imposent au monde depuis des décennies. La question des barrières douanières est le dernier avatar de ces diktats qui font et firent trembler le monde, au gré des intérêts de (...)

Catherine Morand

Quand la France et l’UE s’attaquent aux voix africaines

Nathalie Yamb est une pétroleuse capable de mettre le feu à la banquise. Elle a le bagout et la niaque des suffragettes anglaises qui défiaient les élites coloniales machistes du début du XXe siècle. Née à la Chaux-de-Fonds, d’ascendance camerounaise, elle vient d’être sanctionnée par le Conseil de l’Union européenne.

Guy Mettan

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet

Rencontre inédite avec le vice-président de la Douma russe

Non, il n’a pas de cornes ni de queue fourchue, ni même de couteau entre les dents. Il ne mange pas non plus d’enfants ukrainiens au petit-déjeuner. Piotr Tolstoy semble être un homme normal. Quoique. A la réflexion, l’arrière-arrière-petit-fils de l’écrivain Léon Tolstoï possède un sens de l’ironie et un (...)

Guy Mettan