Macron ou Le Pen? Suspense pour toute l’Europe

Publié le 15 avril 2022
La candidate d’extrême-droite est aux portes de l’Elysée. Le risque bien réel d’un total chambardement au soir du 24 avril porte au-delà de la France. L’Union européenne s’en trouverait ébranlée jusque dans ses bases. Cela ne peut laisser personne indifférent sur le Vieux-Continent. Marine Le Pen peut prendre des tons doucereux, mettre des bémols et caresser ses chats sur Twitter, il n’empêche que son programme est clair: elle ne veut pas sortir de l’UE mais casser le projet de l’intérieur.

C’est à voir de près. Depuis 2017, «MLP» a certes lâché du lest: plus de sortie de l’euro ni de la convention de Schengen. Cependant elle annonce aujourd’hui une longue liste de mesures clairement en opposition avec certains principes fondamentaux européens. «Si l’expression est plus policée, on reste sur un programme profondément souverainiste, qui peut amener à une forme de « Frexit » sans le dire», juge Christine Verger, vice-présidente de l’Institut Jacques-Delors.

Concrètement? Le Pen veut rétablir le contrôle des marchandises aux frontières européennes et pour cela engager quelques milliers de douaniers. Les déboires de la Grande-Bretagne sur ce sujet ne lui ont pas servi de leçon. En plus, rétablir des taxes sur les importations, ce qui est évidemment contraire au fondement du marché commun. La dame entend même retirer l’agriculture des traités de libre-échange, oubliant que celle-ci, en France, est un moteur des exportations.

La clé de voûte de son projet, c’est la «préférence nationale», selon laquelle l’accès à l’emploi, aux logements et aux aides sociales devrait être réservé aux personnes ayant la nationalité française. La candidate l’a rebaptisée «priorité nationale», mais elle veut l’inscrire par référendum dans la Constitution, qui doit, selon elle, l’emporter sur les engagements internationaux de la France. Une façon de viser les immigrés qui seraient incités à ne plus venir (droit du sol supprimé, droit d’asile et regroupement familial restreints) et ceux qui sont sur le territoire deviendraient, en quelque sorte, des citoyens de deuxième catégorie, avec toutes sortes de limitations de leurs droits. «C’est nous qui déciderons qui peut rester ou qui doit partir.» Ambition totalement contraire au principe de l’Union européenne qui garantit la liberté de circulation des personnes en son sein.

Dans l’hypothèse de son succès et de sa détermination, Marine Le Pen minerait l’édifice déjà mis à l’épreuve par les tensions avec Varsovie et Budapest. Mais elle aurait des surprises de ce côté. Son grand ami, le Hongrois Orbán, serait fort fâché devant sa volonté de réduire la contribution française au budget de l’UE et du même coup les généreuses subventions à l’Europe post-communiste. Quand aux Polonais, ils lui vouent la plus vive animosité pour ses liens – notamment financiers! – avec Moscou. Sa cote n’est pas meilleure dans les pays du Sud si désireux de solidarité continentale. Si elle passe, on imagine le tumulte à Bruxelles. D’autant que la France reste plus que jamais la pièce maîtresse du puzzle, l’Allemagne se trouvant, quoi qu’on dise, contrainte à la retenue du fait de son passé.

Dès que l’engrenage nationaliste se met en route, les bagarres entre pays proches et partenaires ne peuvent que se multiplier et s’envenimer sans fin. Mais qui se souvient de l’Histoire? Et qui se préoccupe vraiment de l’avenir commun? Tant de défis imposent pourtant la nécessité de se serrer les coudes et mettre une sourdine aux sirènes nationalistes. La guerre en Ukraine, les enjeux écologiques, les échanges énergétiques, la mainmise des Etats-Unis à travers les GAFA et les immixtions bancaires… Aucun pays replié sur lui-même ne peut faire face. Ou en bricolant des accords à la petite semaine. On est presque gêné de devoir rappeler de telles évidences. Mais voilà, une réalité énorme s’impose déjà devant nos yeux éberlués: un Français sur deux s’enferme dans une vision nationale égocentrique, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite. Le Pen et Mélenchon partageant les mêmes allergies anti-européennes, assorties d’un prurit anti-germanique. 

Ce suspense historique vaut pour nous aussi. La Suisse ne peut pas imaginer qu’un grand tohu-bohu nationaliste au sein de l’Union européenne lui soit favorable. De fait, tant bien que mal nous sommes dans la partie.

Un mot enfin, pas rose, sur l’avenir. S’il est vrai qu’une forte majorité, dans les jeunes générations, a voté pour les pourfendeurs systématiques de «Bruxelles», on peut s’inquiéter pour les lendemains de la construction européenne. Son sens profond, au-delà de ses nombreux défauts, paraît échapper à la plupart de celles et ceux qui arriveront au pouvoir dans cinq ou dix ans.

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