Le foulard islamique devient un serpent de lac

Publié le 9 décembre 2022
Le foulard islamique relève du serpent de mer dont le venin réinfecte les polémiques à chaque morsure de l’actualité. Serpent de lac, plutôt en l’occurrence. Un visuel illustrant deux fillettes voilées a semé le trouble dans l’école primaire genevoise. «Une erreur», regrette le Département de l’instruction publique. Que voile-t-il et que dévoile-t-il, ce foulard?

C’est notre excellent confrère Antoine Menusier qui a révélé cet épisode sur le site d’information suisse Watson. Ce visuel, conçu comme une planche de bande dessinée, était intégré à un programme d’apprentissage de la lecture destiné à l’école primaire genevoise. Il montrait quatre fillettes et trois garçons en train de lire des livres. Deux fillettes portent le hijab, le foulard islamique qui recouvre la tête et les épaules, ne laissant apparaître que le visage. Leurs jambes et leurs bras étaient également couverts, contrairement à deux autres fillettes, têtes nues, habillées de shorts et maillots à manches courtes. L’un des garçons arborait la chéchia, couvre-chef utilisé dans les pays musulmans.

Polémique islamo-textile

Interrogé par notre confrère, le secrétaire-général adjoint du Département de l’instruction publique (DIP), Nicolas Tavaglione, plaide l’erreur commise par enseignante non-titulaire «qui a cru bien faire dans un environnement qui se caractérise par la diversité des origines». D’après Watson, ce visuel aurait été retiré de la circulation. Pour le représentant du DIP, une telle illustration «n’a pas sa place dans quelque cours que ce soit.»

L’affaire est donc close. Jusqu’à la prochaine polémique islamo-textile. Dans le cas présent, inutile d’imaginer un vaste complot ourdi par des islamo-gauchistes. L’explication du Département de l’instruction publique genevois est de loin la plus plausible, à savoir une bévue.

Mais elle est intéressante, cette bévue. Et dans une certaine mesure, elle est même encore plus inquiétante qu’un complot. Pourquoi?

Dressage précoce

Notons d’abord que le foulard islamique n’est pas exigé pour les fillettes pré-pubère, enfin théoriquement. Car pratiquement, c’est autre chose.

A en croire le site salafiste – considéré par Wikipédia comme le plus populaire dans le monde – islamQA, cette obligation de porter le foulard ou voile islamique complet concerne les musulmanes majeures au sens de la tradition islamique. Il ne s’agit pas évidemment de la majorité civile à 18 ans. Cette majorité est atteinte, notamment, dès l’âge de 15 ans et, pour les jeunes filles, lorsque les premières règles apparaissent.

Or, le visuel litigieux montre des fillettes très jeunes; elles ne seraient donc pas concernées. C’est oublier que le salafisme en rajoute toujours dans la bigoterie. Ainsi, islamQA précise: 

«Cependant, le tuteur légal de la fillette doit lui inculquer l’habitude d’accomplir les devoirs religieux et de s’abstenir des interdits avant l’atteinte de l’âge de la majorité afin qu’elle l’assimile de manière à ne pas le (sic) trouver difficile, une fois majeure. Ceci fait partie des règles fondamentales de l’éducation religieuse.»

En d’autres termes, le dressage doit commencer le plus tôt possible. 

Animé sans doute des meilleures intentions du monde, inspiré par la volonté d’inclure toutes les cultures, ce visuel démontre que les prescriptions de l’islam le plus borné et le plus rigoriste sont intériorisées même par des enseignants n’appartenant pas à cette religion, ce qui est sans doute le cas en l’occurrence.

Le corps de la femme, terrain de lutte

A première vue, il existe entre l’islam et les sociétés laïques d’autres sujets de débats plus aigus et plus essentiels que la polémique islamo-textile. Personnellement, je défendais naguère cette position. J’avais tort.

L’islamisme politique, sous ses diverses formes (mollarchie iranienne, Frères Musulmans, salafisme etc.), a fait du corps de la femme son terrain de lutte.

La féroce répression qui s’abat en Iran sur les femmes qui refusent de porter le foulard islamique obligatoire en constitue l’exemple le plus récent.

Et c’est aussi sur ce terrain que les mouvements féministes comme #MeToo ont remporté d’importantes batailles médiatiques, politiques et juridiques pour promouvoir le droit de la femme contre les tenants du pouvoir patriarcal.

Or, l’islam politique ne peut pas rester immobile face à ces avancées puisque la défense de la primauté de l’homme sur la femme est sa marque déposée. D’où pressions sur les musulmanes, dès leur plus jeune âge, pour renforcer l’intériorisation des réflexes de soumission.

Quelle laïcité à l’école?

A Genève, les enseignants des écoles du canton ne doivent pas porter les signes ostensibles de leur appartenance religieuse. 

En revanche, les élèves ne sont pas soumis à cette obligation (contrairement à la France) puisqu’ils ne sont pas des agents de l’Etat. Toutefois, la brochure «La laïcité à l’école» a prévu quelques bémols en indiquant que le port de signes religieux ostensibles par les élèves est toléré pour autant qu’il n’empêche pas leur bonne intégration à l’école, qu’il ne soit pas source de troubles graves dans l’établissement, ni de dangers (notamment durant les cours de gym).

Il reste à savoir si des fillettes qui ne peuvent pas disposer de la même liberté de mouvements que leurs petites camarades de classe sont à même d’être bien intégrées, non seulement à l’école mais également au sein d’une société dont elles sont les futures citoyennes.

 Tôt ou tard cette question risque fort de se poser. Autant y réfléchir maintenant. 

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