Le déni des Suisses devant d’inquiétants clignotants

Publié le 13 septembre 2024
Français et Allemands sont envahis par les doutes quant à l’avenir de leur économie. Les Suisses, eux, restent ancrés dans leurs rassurantes certitudes. Ces derniers feraient bien d’être plus attentifs. Nombre de nouvelles pas gaies tombent ces jours-ci.

L’UBS, après avoir avalé à bon compte le Crédit suisse, vient d’annoncer qu’elle fermera prochainement 85 filiales, avec des centaines de licenciements. Les devantures closes dans nos rues s’ajouteront à celles, si nombreuses, des petits commerçants qui baissent les bras. Même le géant Migros ne sait plus très bien ce qu’il veut vendre ou pas et où le faire. Les supermarchés péclotent. La soudaine baisse du prix de la viande annoncée par tous les distributeurs ne renforcera pas la confiance. Pourquoi maintenant et pas hier si c’est donc possible? Les acheteurs frontaliers ont d’ailleurs d’autres raisons de faire leurs courses en France où le choix de produits est beaucoup plus vaste.

Du côté de l’horlogerie tout n’est pas rose, comme le remarque pertinemment Stéphane Gachet dans Le Temps. Sur la chaîne française BFM, un commentateur ricane – sur la base d’une dépêche de Bloomberg – en affirmant que les marques suisses survivent… «en se mettant sous la protection de l’Etat»! Pas tout à fait faux. Car le chômage partiel s’étend, en particulier chez les sous-traitants. Nombre de fabricants jonglent avec les emplois momentanés. Les horlogers annoncent, sur des tons divers, de bons résultats mais ne cachent pas qu’ils ont perdu une grande part du marché en Chine et qu’ils ont peine à compenser ces pertes sous d’autres cieux. Ils n’évoquent guère la concurrence des montres branchées comme Apple Watch, mais ils y pensent. Sans vraiment réagir. On n’en est pas à la méga-casse comme à l’époque de l’irruption du quartz mais il y a de quoi froncer les sourcils.

Mais, objecterez-vous, l’avenir n’est plus dans les breloques, regardez plutôt les start-ups, les nouvelles entreprises de pointe! Sans doute. Il y en a quelques-unes qui percent avec d’admirables succès. Mais voyons aussi, le chiffre a récemment été publié, trois sur quatre font faillite ou partent à l’étranger après trois ans d’existence.

Peu importe, direz-vous enfin, la chimie nous sauvera! Là aussi, c’est à voir de plus près. Le directeur de Roche Pharma international, Jörg-Michael Rupp, s’inquiète dans la NZZ: «La Suisse doit reconnaître que dans d’autres pays elle n’est pas obligatoirement si importante.» Il constate qu’ailleurs dans le monde, on investit, on invente, on fabrique à marche forcée. Des délégations internationales débarquent chez les Bâlois: «Vous ne voulez pas investir chez nous? Nous vous offrons de meilleures conditions que chez vous.» Président aussi de l’association de branche Inerpharma, Rupp ajoute: «Le meilleur des sites est perdant s’il ne met pas suffisamment l’accent sur ses points forts. Mon impression est que nous prenons ce que nous avons en Suisse pour acquis et que nous ne réalisons plus que nous devons sans cesse nous battre pour l’obtenir. Dans ma position, je suis responsable non seulement de la Suisse, mais aussi d’autres pays et régions. J’y vois tout ce qui est entrepris ailleurs pour gagner du terrain. De nombreux pays mènent une politique industrielle ciblée pour attirer des entreprises des sciences de la vie à forte valeur ajoutée.»

Pour cet observateur et acteur, deux points sont sensibles. D’abord, la fiscalité en hausse. La Suisse applique la taxe minimale de 15% pour les grandes entreprises décidée par l’OCDE. Le hic, c’est que les concurrents, les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde, ne l’appliquent pas.

Et le gros souci: le retard dans l’association à l’UE. Même si Rupp se montre confiant, estimant que le peuple suisse comprend maintenant l’importance de ce lien. «Notre secteur a besoin d’une clarification urgente avec l’UE. Si la Suisse n’est pas bientôt réintégrée pleinement dans le programme de recherche Horizon, nous nous attendons à des inconvénients durables. Pour les scientifiques ambitieux, ce cadre est essentiel, il fait partie de leur carrière, leur prestige dépend de leur capacité à diriger des projets européens. Ceux qui se contentent de rester en marge ont perdu.» Et d’ajouter: «Les premiers chercheurs ont déjà quitté la Suisse, d’autres suivraient. Les hautes écoles perdraient des spécialistes de haut niveau, le pays reculerait en tant que site de recherche. Chez Roche, nous devrions constater que le savoir-faire dans les universités diminue et que le réseau académique se détériore globalement – alors que la Suisse a jusqu’à présent un point vert dans ces catégories lors des décisions d’investissement, ce ne serait plus aussi clair à l’avenir.»

Les exportations pharmaceutiques vont pour 27% aux USA, pour 47% vers l’UE. C’est dire qu’il sera important aussi de s’accommoder au mieux des nouvelles procédures d’agréments pour les médicaments décidées à Bruxelles.

Ces défis vont au-delà de ce domaine particulier, c’est l’évidence. La pharma, c’est 10% du produit intérieur brut et 40% des exportations suisses. Quand donc les élus fédéraux, empêtrés dans leurs préoccupations électoralistes, verront-ils plus loin que le bout de leur nez?

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