Le Conseil national suisse au service de la propagande de guerre étrangère

Publié le 13 septembre 2024

Une plaque indiquant la présence des bureaux de l’UNRWA au Sud-Liban. © Roman Deckert – CC BY-SA 4.0

La tradition humanitaire de la Suisse est en grand danger. Pendant des décennies, elle a joui d'une réputation d'impartialité dans la fourniture de l'aide nécessaire sur le terrain.Au milieu d'une tragédie évidente à Gaza, le Conseil national – 99 personnes plus 7 «indécis» – a refusé de voter l'aide d'urgence promise à une population civile meurtrie.

Pia Holenstein, article publié sur Infosperber le 12 septembre 2024, traduit par Bon Pour La Tête


On peut suivre les souffrances incommensurables de la population, qui augmentent de jour en jour. Mais un seul des belligérants cherche à stopper l’action de l’UNRWA. Visiblement, il entretient un lien direct avec certains parlementaires.

Des enfants morts comme des numéros

Il y a quelques jours, je me suis entretenue par Zoom avec un médecin travaillant à Gaza et trois autres qui y ont travaillé pendant un certain temps. Leurs récits étaient tout simplement horribles. Des enfants gravement blessés lors de bombardements, que l’on ne pouvait pas identifier, n’attribuer à aucune famille et qui mouraient comme des numéros. Des blessés et des malades qui meurent par manque de moyens les plus élémentaires. Des enfants qui arrivent à l’hôpital pour boire de l’eau dans les toilettes. Et oui, tous sont malades. On craint l’épidémie de poliomyélite, et on ne la combat que pour éviter qu’elle ne s’étende à Israël. Israël interdit toujours de parler de génocide, mais il n’y a pas d’autre mot.

Il ne savait pas

Le conseiller national (UDC) David Zuberbühler, qui s’est exprimé au parlement, prétendra peut-être un jour qu’il ne «savait pas». Aux autres votant-e-s qui se sont exprimé-e-s contre l’envoi de l’aide d’urgence, je laisse le bénéfice du doute, sûrement ils et elles ne sont que des suiveurs-ses.

Le plus à blâmer reste le conseiller fédéral Cassis, même s’il a reconnu qu’il ne fallait pas couper son financement à l’UNRWA précisément au moment où éclatait la plus grande crise humanitaire que l’office ait eue à gérer. Cassis a pourtant bien œuvré au démantèlement de l’UNRWA depuis son entrée en fonction, a répété à Trump qu’elle faisait «partie du problème», n’a pas soutenu le directeur Pierre Krähenbühl lorsqu’il a été contraint de démissionner après avoir été calomnié. Il a refusé à Philippe Lazzarini le soutien dont il avait besoin et a obéi aveuglément aux exigences israéliennes. Cassis semble n’avoir jamais compris le rôle de la Suisse en tant qu’Etat dépositaire de la Convention de Genève, ni l’avantage en termes de réputation internationale de voir des Suisses à la tête de l’agence humanitaire en tant que commissaires généraux.

Cette dernière a été fondée par la communauté internationale pour accueillir les réfugiés expulsés par Israël lors de la création de l’Etat. Pour inciter les pays environnants à accueillir les réfugiés, les soulager et les apaiser, c’est-à-dire pour protéger Israël.

Malgré cela, Israël travaille depuis des décennies au démantèlement de l’UNRWA en utilisant toutes les accusations possibles et imaginables, le plus souvent inventées de toutes pièces. Cela s’explique par le fait que le statut de réfugié garantit aux Palestiniens un droit au retour. Israël veut l’éliminer par tous les moyens.

L’UNRWA fournit du travail et des moyens de subsistance aux Palestiniens dans cinq pays, en tant que bénéficiaires ou employés. C’est la seule organisation qui peut apporter une certaine aide à Gaza. Elle travaille de manière apolitique pour le compte des Nations Unies tant que les Palestiniens en dépendent, c’est-à-dire tant qu’ils n’ont pas leur propre Etat, et peut justifier à 100% de ses activités. Les accusations israéliennes se sont jusqu’à présent toujours révélées fausses, il convient donc de douter des nouvelles accusations à venir.

Les «autres organisations» n’existent pas

Quelle prétention de la part des parlementaires suisses que de vouloir supprimer rapidement cette organisation de l’ONU et de la mettre en place sous une autre forme. Il n’est pas seulement absurde, mais aussi totalement malveillant de la part de conseillères nationales de dire qu’il faut donner l’argent à d’autres organisations à Gaza. Il n’y en a pas. Il y a urgence. Et la Suisse se rend maintenant concrètement complice de l’extermination de la population civile palestinienne.

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