La majorité des Suisses veulent être neutres face à la Russie et à l’Ukraine

La part de l’opinion favorable à la neutralité face à cette guerre a sensiblement augmenté au cours des derniers mois. On peut y voir un réflexe égocentrique de repli devant la tourmente. Ou aussi le rappel de la vocation traditionnelle de la Suisse: tenter d’aider les belligérants à cesser le feu, à négocier une issue pacifique plutôt que de prolonger les horreurs sanglantes.
Ce n’est manifestement pas le choix du DFAE. Les déclarations de Claude Wild, ambassadeur en Ukraine, étaient catégoriques. Soutien total à la politique de Zelensky. Il est même allé jusqu’à partager ses doutes quant à l’affirmation de l’OTAN selon laquelle les missiles tombés par erreur en Pologne n’étaient pas russes mais ukrainiens. Plus préoccupant encore: le diplomate suisse considère aussi que le temps n’est pas venu pour des pourparlers de paix. Donc que la guerre doit se prolonger. Avec des dégâts terrifiants de part et d’autre.
Il serait possible pourtant d’affirmer notre soutien à un pays agressé, de lui apporter une aide humanitaire et en même temps, rappeler que la Suisse est par principe favorable à une issue négociée aux conflits et qu’elle est prête en tout temps à offrir ses services dans ce sens. Certes, en l’occurence, si discussions il doit y avoir un jour, elles ne se tiendront pas en Suisse, vu son parti-pris. Ce sera plutôt à Istanbul, au Caire ou ailleurs. Dans un pays qui a affiché une certaine réserve. Mais le devoir de notre représentant auprès d’une des parties en guerre eût été de rappeler notre disponibilité. Comme devrait le faire aussi notre ambassadeur à Moscou. Même s’il est fraichement reçu.
Soyons réalistes. Le dénouement de cette tragédie se discutera tôt ou tard entre les Etats-Unis et la Russie. Car il n’y aura pas de victoire totale d’un camp ou de l’autre. A moins que des bombes ne tombent un jour sur le Kremlin! Ce sont en fait ces deux puissances qui s’affrontent. Utilisant pour cela ce qui était une guerre civile au départ, interne à l’Ukraine, dès 2014 ou même bien plus tôt. L’invasion russe est une violation indiscutable des lois internationales. Elle doit être condamnée haut et fort. Ce qui ne veut pas dire qu’un pays neutre comme la Suisse doivent s’aligner en tout et aveuglément sur la politique occidentale, sur une OTAN dont nous ne faisons pas partie. Un autre neutre, l’Autriche, le rappelle clairement. Elle condamne l’agression, fait sa part dans l’accueil des réfugiés, mais elle ne livre pas d’armes et se garde d’ajouter de l’huile au feu.
Nous devons échapper à l’hystérie émotionnelle qui se développe en Ukraine comme en Russie. L’église orthodoxe ukrainienne, dressée contre celle alignée sur le Kremlin, va jusqu’à dire à ses fidèles: «Nous vous prions vivement de lire les prières exclusivement en ukrainien. Si vous le faites en russe, la maladie et la douleur s’abattront sur vous.» Et côte russe, dans d’autres termes, les prêtres barbus ne sont pas en reste. Même lors de la Seconde guerre mondiale, aucune église, catholique ou protestante, n’a attisé une telle haine du peuple ennemi. Sinon celle de l’orthodoxie russe, réhabilitée à dessein par Staline, alliée à lui après qu’elle a été bannie par les bolchéviques.
Tenter, même désespérément, d’aider à éteindre à l’incendie. Telle devrait être la politique de la Suisse. C’est notre conviction. Elle peut se discuter. Si M. Ignazio Cassis en choisit une autre, il devra en répondre. Une chose est sûre en tout cas: sa conception «ultra-light» de la neutralité choque de nombreux Suisses et ceux-ci seront tentés de voter, l’an prochain, pour l’UDC, le seul parti qui s’oppose à la vision du DFAE. Beaucoup le feront le nez bouché, se souvenant des blocages aberrants de cette formation sur la question européenne. Mais le parti de Blocher pourrait bien gagner des voix. Effet collatéral surprenant de la crise sanitaire et de celle de la guerre. Les autres camps politiciens feraient bien d’y songer.
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