La démocratie sous narcose

Publié le 21 mai 2021

On n’a jamais autant parlé des surveillances diverses dont le simple pékin peut être l’objet. – Ici, James Steward espionnant ses voisins dans Fenêtre sur Cour (A. Hitchcock, 1954) © DR

L’endormissement de nos neurones civiques est administrée par doses variables à des fins diverses L’une d’elles a déjà produit ses effets. Le Conseil fédéral a tué l’accord avec l’Europe, sans douleurs, sans le moindre débat au parlement, sans aucun vote populaire. En cachant sa propre étude sur les conséquences du sabordage. Dans ce pays qui se gargarise au sirop démocratique, c’est ahurissant! Mais d’autres somnolences forcées sont aux fins de renforcer le pouvoir étatique sans contrôle. Avec deux lois qu’il nous est demandé d’applaudir le 13 juin.

On n’a jamais autant parlé des surveillances diverses dont le simple pékin peut être l’objet. Les GAFA nous guettent. Facebook nous trace pour nous fourguer des pubs. Une panoplie d’applications enregistrent nos sorties, où nous avons mangé et avec qui. Et cetera, et cetera. Or c’est le moment choisi pour faire passer deux lois qui faussent les règles du jeu démocratique, restreignent les libertés et favorisent le flicage. La première, dite loi Covid, donne les pleins pouvoirs au Conseil fédéral pour une durée indéterminée. Il peut ainsi imposer ce qu’il veut, sans débat parlementaire, avec des consultations aléatoires. Il apporte sans cesse des amendements, telle l’introduction du passeport sanitaire. Quasiment personne ne bronche au Parlement mis hors jeu, à la différence de celui du Parlement français qui résonne des empoignades sur le même thème. On y reviendra.

L’autre de ces lois, dite anti-terroriste, doit permettre d’observer en douce toute personne soupçonnée de sombres desseins. Avant même qu’un délit soit commis et sans l’aval d’un juge. Le gouvernement nous avertit: un like mal placé, une fréquentation de sites douteux, jugés subversifs, et toc, on peut se retrouver dans le collimateur. On nage dans la présomption de la dangerosité. Sans preuves concrètes. Sans appréciation d’un juge. Cette loi dispose de ce qui «pourrait être considéré comme du terrorisme». Ainsi, les «actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique» donneraient lieu au prononcé de «mesures policières» s’apparentant en réalité à des peines de nature pénale et ce, sans la validation d’un tribunal. De tout temps il y eut des mouvements visant à influencer l’ordre étatique. Il y en aura encore, de toutes natures, et c’est heureux. Une démocratie digne de ce nom doit les admettre dans le jeu, les combattre au besoin, mais sûrement pas les soumettre à l’arbitraire policier. Criminaliser les velléités révolutionnaires, quelles qu’elles soient, c’est poignarder la liberté politique.

Quant à l’ampleur du danger véritablement terroriste, parlons-en. Il y eut deux cas ces vingt dernières années. Rien ne prouve qu’un espionnage des suspects les aurait évités. Les organisations djihadistes ne frappent pas indistinctement tous les pays. Elles ont causé des horreurs en France parce que celle-ci est engagée dans une guerre anti-islamiste en Afrique. Rien n’indique que la Suisse retient leur attention. Et si c’était le cas un jour, on ne peut l’exclure, ces professionnels de la terreur, rompus à tous les camouflages, trouveraient probablement les moyens d’échapper à ces modes mécaniques de surveillance. La collaboration avec les services de renseignement étrangers est bien plus utile. L’intelligence, au sens politique et policier, est infiniment plus efficace que les détecteurs algorithmiques des déviances.

Il y a disproportion entre la menace et la gravité des mesures. Celles-ci prévoient entre autres des assignations à résidence. Applicables même aux enfants dès douze ans! Ce qui indigne les organisations de droits de l’homme et de la protection de l’enfance, les Nations-unies et de nombreux juristes encore attachés aux libertés fondamentales.

Comment croire à la raison de la police en toutes circonstances?

Mais nous serons raisonnables, protestent les policiers et leurs responsables politiques. Comment peut-on croire à leur retenue dans un pays qui a connu le scandale des fiches, avec 700’000 personnes étiquetées pour leurs opinions politiques, souvent à tort et à travers? Quand un pouvoir dispose de tels outils pour traquer la panoplie des «suspects» de tout poil, il en use. Au risque d’ailleurs de se disperser au détriment de tâches plus impérieuses.

Comment croire à la raison de la police en toutes circonstances? Quand les émotions s’échauffent, elle s’emporte. On l’a vu l’autre jour à Berne où la manifestation anti-gouvernementale n’a pas eu lieu, mais où des personnes dispersées, buvant un verre sur les terrasses, ont été collées le dos au mur, menottées en cas de récriminations, retenues des heures en cellules. Parce qu’elles étaient suspectes d’avoir voulu manifester! Repérées parce qu’elles ne portaient pas le masque, le chef de la police bernoise dixit.

Sur le terrain abusivement dénommé «antiterroriste» comme sur d’autres, le plus efficace soporifique de la raison, c’est la peur. Une société obsédée par la trouille et le refus du risque, commence par sacrifier ses libertés. Et amorce son déclin. Mais c’est là une réflexion philosophico-politique qui, c’est à espérer, ne fait que commencer.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

La guerre entre esbroufe et tragédie

Une photo est parue cette semaine qui en dit long sur l’orchestration des propagandes. Zelensky et Macron, sourire aux lèvres devant un parterre de militaires, un contrat soi-disant historique en main: une intention d’achat de cent Rafale qui n’engage personne. Alors que le pouvoir ukrainien est secoué par les révélations (...)

Jacques Pilet
Politique

Etats-Unis: le retour des anciennes doctrines impériales

Les déclarations tonitruantes suivies de reculades de Donald Trump ne sont pas des caprices, mais la stratégique, calculée, de la nouvelle politique étrangère américaine: pression sur les alliés, sanctions économiques, mise au pas des récalcitrants sud-américains.

Guy Mettan
SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Politique

Les BRICS futures victimes du syndrome de Babel?

Portés par le recul de l’hégémonie occidentale, les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud — s’imposent comme un pôle incontournable du nouvel ordre mondial. Leur montée en puissance attire un nombre croissant de candidats, portés par la dédollarisation. Mais derrière l’élan géopolitique, l’hétérogénéité du groupe révèle des (...)

Florian Demandols
Politique

Ukraine: un scénario à la géorgienne pour sauver ce qui reste?

L’hebdomadaire basque «Gaur8» publiait récemment une interview du sociologue ukrainien Volodymyr Ishchenko. Un témoignage qui rachète l’ensemble de la propagande — qui souvent trouble plus qu’elle n’éclaire — déversée dans l’espace public depuis le début du conflit ukrainien. Entre fractures politiques, influence des oligarchies et dérives nationalistes, il revient sur (...)

Jean-Christophe Emmenegger
Politique

Pologne-Russie: une rivalité séculaire toujours intacte

La Pologne s’impose désormais comme l’un des nouveaux poids lourds européens, portée par son dynamisme économique et militaire. Mais cette ascension reste entravée par un paradoxe fondateur: une méfiance atavique envers Moscou, qui continue de guider ses choix stratégiques. Entre ambition et vulnérabilité, la Pologne avance vers la puissance… sous (...)

Hicheme Lehmici
Politique

La neutralité fantôme de la Suisse

En 1996, la Suisse signait avec l’OTAN le Partenariat pour la paix, en infraction à sa Constitution: ni le Parlement ni le peuple ne furent consultés! Ce document, mensongèrement présenté comme une simple «offre politique», impose à notre pays des obligations militaires et diplomatiques le contraignant à aligner sa politique (...)

Arnaud Dotézac
Politique

Honte aux haineux

Sept enfants de Gaza grièvement blessés sont soignés en Suisse. Mais leur arrivée a déclenché une tempête politique: plusieurs cantons alémaniques ont refusé de les accueillir, cédant à la peur et à des préjugés indignes d’un pays qui se veut humanitaire.

Jacques Pilet
Politique

Israël-Iran: prélude d’une guerre sans retour?

Du bluff diplomatique à la guerre totale, Israël a franchi un seuil historique en attaquant l’Iran. En douze jours d’affrontements d’une intensité inédite, où la maîtrise technologique iranienne a pris de court les observateurs, le Moyen-Orient a basculé dans une ère nouvelle: celle des guerres hybrides, électroniques et globales. Ce (...)

Hicheme Lehmici
Economie

Le secret bancaire, un mythe helvétique

Le secret bancaire a longtemps été l’un des piliers de l’économie suisse, au point de devenir partie intégrante de l’identité du pays. Histoire de cette institution helvétique, qui vaut son pesant d’or.

Martin Bernard
Sciences & Technologies

Des risques structurels liés à l’e-ID incompatibles avec des promesses de sécurité

La Confédération propose des conditions d’utilisation de l’application Swiyu liée à l’e-ID qui semblent éloignées des promesses d’«exigences les plus élevées en matière de sécurité, de protection des données et de fiabilité» avancées par l’Administration fédérale.

Solange Ghernaouti
Economie

Taxer les transactions financières pour désarmer la finance casino

Les volumes vertigineux de produits dérivés échangés chaque semaine témoignent de la dérive d’une finance devenue casino. Ces instruments servent avant tout de support à des paris massifs qui génèrent un risque systémique colossal. L’instauration d’une micro-taxe sur les transactions de produits dérivés permettrait de réduire ce risque, d’enrayer cette (...)

Marc Chesney
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Identité numérique: souveraineté promise, réalité compromise?

Le 28 septembre 2025, la Suisse a donné – de justesse – son feu vert à la nouvelle identité numérique étatique baptisée «swiyu». Présentée par le Conseil fédéral comme garantissant la souveraineté des données, cette e-ID suscite pourtant de vives inquiétudes et laisse planner la crainte de copinages et pots (...)

Lena Rey
Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin