Immigration: aux Etats-Unis, l’ascenseur social fonctionne depuis 150 ans

Publié le 6 novembre 2019
Assistés, fardeaux pour la société ... tels sont décrits et considérés, par une partie de la classe politique et de son électorat, les immigrés aux Etats-Unis. Une étude menée par de prestigieux universitaires et repérée par le New York Times donne pourtant à voir une autre réalité: les immigrés et leurs enfants seraient des gagnants de l’économie de marché américaine.

Le rêve américain. C’est, parmi des millions d’autres, Greta Garbo, fille d’une famille suédoise modeste, qui, passée par Ellis Island, devient une star planétaire. C’est Samuel Goldwyn, émigré polonais devenu l’un des maîtres de Hollywood. A en croire les discours actuels de Donald Trump et de ses affidés, tout cela est bien fini, il est temps de se réveiller. L’immigré d’aujourd’hui, arrivant aux Etats-Unis même par voie légale, est et demeurera un fardeau pour la société, un pauvre par essence, un assisté. L’administration Trump a entrepris de réorienter le programme d’accueil des migrants légaux, en privilégiant les personnes originaires de pays riches (c’est-à-dire, de préférence, les Norvégiens). L’Etat, dit-on, n’a plus les moyens d’ouvrir ses portes à des familles entières originaires d’Amérique Latine ou du Sud-Est asiatique, incapables de s’adapter à l’économie de marché et qui dépendront de Medicaid et d’autres organismes publics d’aides sociales. Quant aux demandeurs d’asile du Moyen-Orient, il n’en est simplement plus question. En septembre dernier, Donald Trump a déclaré que cela reviendrait à «importer du terrorisme» sur le territoire américain. Conséquence: au mois d’octobre, les Etats-Unis n’ont accueilli aucun réfugié (ces derniers étant, par définition, des pauvres au carré). 

Ces jours-ci, le New York Times se fait l’écho d’une étude à contre-courant, menée par une équipe d’historiens de l’économie des universités de Princeton, Stanford et Davis. Les chercheurs démontrent que les immigrés arrivés pauvres aux Etats-Unis se sortent rapidement de leurs difficultés, sinon dès la première génération, assurément à la deuxième. «Les politiques sous-estiment massivement les capacités d’élévation sociale des immigrés» affirme Ran Abramitzky, professeur à Stanford et l’un des auteurs de l’étude. «À partir de la deuxième génération, tout va très bien pour eux.»

Notons tout de même que ces résultats ne concernent pas les femmes ni les immigrés clandestins. Il serait intéressant, mais bien plus complexe, de mener la même étude sur ces deux groupes.

Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe a comparé les revenus de couples père-fils arrivés aux Etats-Unis, à partir de 1880 et jusqu’à nos jours, à ceux de foyers installés aux Etats-Unis depuis plusieurs générations. Les résultats sont éloquents. A revenus de départ égaux, les enfants dont le père est un immigré de la première génération, quelle que soit son origine ethnique et culturelle ou sa religion, réussissent mieux socialement que les enfants nés aux Etats-Unis de père américain. Cette «mobilité intergénérationnelle» est constante dans les familles nouvellement installées sur le territoire. 

Les tentatives d’explication tiennent compte, dans un premier temps, du fait qu’un immigré de la première génération ne jouira pas nécessairement d’un niveau de revenus équivalent à ses compétences. Un médecin ou un avocat émigré d’Europe de l’Est se retrouvera, à son arrivée, serveur ou chauffeur de taxi, faute de mieux. Toutefois, les enfants de notre médecin-chauffeur de taxi ne bénéficieront pas pour autant d’un niveau d’éducation supérieur à ceux d’un chauffeur de taxi américain. En particulier à cause du coût élevé des études universitaires aux Etats-Unis. 

La réponse est donc à chercher ailleurs. Les auteurs de l’étude avancent une raison étonnante. L’ascension sociale dépend en effet de l’endroit où l’on vit, et les immigrés et leurs familles s’installent le plus souvent dans de grandes villes portuaires, dynamiques et cosmopolites – typiquement, à New York et pas au fin fond du Kentucky. A cela s’ajoute la mobilité géographique, dont les immigrés et fils d’immigrés ont intégré la nécessité. C’est cet avantage qui explique les conclusions de l’étude. Dépourvus d’attaches et de racines aux Etats-Unis, les nouveaux venus peuvent déménager à loisir, suivre le développement économique où il se trouve, parcourir des milliers de kilomètres pour décrocher un emploi, en un mot, s’adapter. 

Paradoxalement, le migrant est donc le candidat idéal à l’ascension sociale dans une économie de marché. À quelque chose malheur est bon.


Quelques chiffres:

  • Pour une population de 326 millions d’habitants, les Etats-Unis accueillent actuellement plus d’un million d’immigrés légaux par an. La grande majorité d’entre eux est originaire du Mexique, d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est.  
  • Donald Trump a arrêté à 18 000 le quota de réfugiés pour l’année 2020, seuil le plus bas depuis 1980. Ils étaient 110 000 en 2016. 
  • 11% des réfugiés sont de confession ou de culture musulmane, un chiffre en nette baisse depuis l’élection de Donald Trump.

Lire l’article original ici

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Accès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani

La stratégie du chaos

L’horreur du massacre des Gazaouis soulève de plus en plus d’émotion dans le monde, sinon des réactions et des sanctions gouvernementales à la mesure de ce fait historique. Cela ne doit pas nous empêcher de nous interroger froidement sur ce que veulent Israël et son allié américain au Moyen-Orient. Une (...)

Jacques Pilet

Les empires sont mortels. Celui de Trump aussi

Dans mon précédent papier, j’ai tenté de montrer comment la république impériale américaine (selon le titre d’un livre de Raymond Aron publié en 1973 déjà!) était en train de se transformer en empire autoritaire et velléitaire sous la férule Sa Majesté Trump 1er. Bonne nouvelle: les empires sont mortels et (...)

Guy Mettan
Accès libre

Léon XIV et J.D. Vance partagent les mêmes modèles

A peine élu, le pape américain Léon XIV est déjà célébré ou vilipendé comme anti-Trump. Pourtant, à y regarder de plus près, plusieurs aspects de la doctrine chrétienne le rapprochent étonnamment du vice-président néo-catholique J.D. Vance.

Bon pour la tête

La république américaine entre dans sa phase Marius et Sylla

Dans la Rome des années 80 avant JC., les rivalités entre Marius, chef inclusif mais vieillissant de la faction populaire, et Sylla, riche jouisseur attaché aux valeurs traditionnelles à la tête des oligarques marquent le début du lent déclin de la République romaine. Toute ressemblance avec des personnages connus d’une (...)

Guy Mettan
Accès libre

«Make Religion Great Again»: la place de la religion dans l’Etat trumpien

Le 7 février dernier, Donald Trump a créé au sein de la Maison Blanche un «bureau de la foi», chargé de renforcer la place de la religion aux Etats-Unis. Que signifie la création de cette nouvelle instance, et que dit-elle de l’administration Trump 2?

Bon pour la tête

Bienvenue dans l’ère post-libérale!

Face à ses adversaires divisés, Trump a beau jeu de les jouer les uns contre les autres, comme il vient de le faire en gelant soudainement son projet de taxes douanières pour mieux cibler la Chine. Mais ce revirement de situation momentané n’y change rien: nous sommes résolument entrés dans (...)

Guy Mettan
Accès libre

Le mondialisme à hue et à dia

Ce mot, mondialisme, désigne une idéologie. Celle d’en finir avec le pouvoir des nations, d’en transférer les compétences à des organisations internationales, d’ouvrir les frontières. Cette doctrine a enflammé les débats ces dernières années à travers ses pourfendeurs, les souverainistes de gauche et de droite. Et voilà que Trump débarque (...)

Jacques Pilet

La Libération selon Donald Trump

Dans un monde où la globalisation semble perdre de son influence, les nations se replient sur elles-mêmes, préférant un protectionnisme croissant. Des barrières commerciales se dressent, non seulement à l’initiative des Etats-Unis de Trump, mais aussi d’autres pays comme le Mexique, l’Europe ou la Chine. Ce phénomène n’est plus temporaire, (...)

Michel Santi

Pourquoi la guerre en Ukraine va durer

Après avoir provoqué le scandale dans une Europe convertie au bellicisme et suscité l’espoir dans le reste du monde, l’offre de négociations de paix faite par Donald Trump à la Russie est en train de s’enliser. Pour une raison simple: trop d’acteurs, à commencer par les Ukrainiens, les Européens et (...)

Guy Mettan
Accès libre

Groenland, indépendance et développement touristique: aubaine ou catastrophe?

Ces dernières années, les Inuits – 90 % de la population – se sont satisfaits d’avoir un peu de beurre (une relativement large autonomie) et l’argent du beurre (les 600 millions annuels de subventions danoises). L’arrogance de M. Trump et une grosse colère contre le Danemark ont toutefois fait pencher (...)

Michael Wyler

L’Europe et son ennemi intérieur

L’Europe n’est pas plus la fidèle gardienne de la liberté d’expression que le sont les Etats-Unis de Trump. Preuve en est la manière, partiale, biaisée et hypocrite, dont nos politiques et nos médias rendent compte des crises et des conflits qui ensanglantent le monde.

Guy Mettan