Les géants de la tech américaine au service de la guerre

Publié le 31 janvier 2025

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De Microsoft à Google en passant par Meta, SpaceX et d’autres, les Etats-Unis assistent à l’émergence d’une oligarchie «techno-industrielle» prête à «exercer la violence pour atteindre des objectifs nobles». Bienvenue dans le radieux avenir techno-militaire des Etats-Unis d’Amérique!

Les nouveaux libertariens au pouvoir aux Etats-Unis nagent dans leurs contradictions. Pendant qu’ils plaident à tue-tête pour une libéralisation débridée sur tous les plans, ils mettent en place méthodiquement des technologies de surveillance qui leur permettront de concrétiser leur agenda impérialiste. Néanmoins, cette exacerbation du patriotisme américain, ces rengaines glorifiant et portant aux nues la puissance retrouvée (ou à recouvrer) de leur pays, seront inéluctablement génératrices de violences. De fait, ce qu’il est de bon ton d’appeler les «Big Tech» développent des technologies de pointe et d’une rare sophistication grâce à l’IA et dans un but militaire. Le constat, aujourd’hui, est sans appel car l’innovation de ces fleurons de la tech américaine se met au service de la politique étrangère des États-Unis.

L’intelligence artificielle au service du secteur militaire

Voilà Microsoft qui remporte de nombreux contrats de défense, notamment pour le développement du système intégré de réalité augmentée (Integrated Visual Augmentation System) destiné à l’armée américaine. Programme d’un montant de 22 milliards de dollars qui vise à améliorer la «conscience situationnelle» des troupes grâce à la réalité augmentée.

Meta, pour sa part, vient de faire son entrée dans ce domaine en mettant son grand modèle de langage LLaMA à disposition de ses clients du secteur militaire.

Google apporte sa contribution à la technologie militaire par son projet Maven qui utilise l’IA dans l’analyse des images des drones à des fins de surveillance et de ciblage.

Fournisseur majeur de services «cloud» pour le département de la Défense et pour la CIA, d’ores et déjà considérablement intégré dans les opérations de défense, Amazon se démarque par son grand activisme dans le développement d’outils IA pour l’optimisation logistique et l’analyse du champ de bataille.

Quant aux systèmes de satellites Starlink de SpaceX, ils sont tout bonnement devenus indispensables aux opérations militaires américaines. L’entreprise d’Elon Musk développe également une constellation de satellites espions sur mesure pour les agences de renseignement américaines, consacrant ainsi son rôle dans la sécurité nationale américaine.

Avec le soutien de la CIA

Moins grand public peut-être, mais tout aussi précieuse pour les autorités américaines: l’entreprise Anduril, fondée par Palmer Luckey, qui s’est d’abord fait connaître grâce à ses tours de surveillance détectant les migrants. Et qui, depuis, s’est diversifiée en développant des drones autonomes, des missiles, des robots et d’autres technologies dédiées à la défense américaine.

Pour autant, aucun de ces fleurons de la tech ne symbolise ce qu’il faut désormais qualifier d’«enthousiasme techno-militaire américain» mieux que la société Palantir Technologies de Peter Thiel, qui fut une des premières à bénéficier de financements précoces de la branche capital-risque de la CIA.

Eh bien, oui! Même une institution comme la CIA dispose à présent d’un pool à même de financer de jeunes pousses qui lui seront en retour utiles.

Ainsi, Gotham, développé par Palantir, est indispensable aux agences de renseignement, aux forces de sécurité et à d’autres entités gouvernementales dans l’intégration, l’analyse et la visualisation de quantités impressionnantes de données émanant de sources diverses et variées, telles que surveillance, rapports de renseignement, informations géospatiales, données d’interceptions. Gotham synthétise une vue d’ensemble de situations complexes en croisant toutes ces données, et autorise le personnel dans sa prise de décision en termes de lutte contre le terrorisme ou de missions militaires. Palantir met également à disposition du Pentagone son programme Foundry pour la gestion logistique et des chaînes d’approvisionnement qui ont secondé l’Ukraine contre la Russie et Israël dans le ciblage des combattants du Hamas à Gaza.

Bienvenue, en somme, dans le radieux avenir techno-militaire des Etats-Unis d’Amérique!

«Exercer la violence pour atteindre des objectifs nobles»

Permettez-moi de citer Palmer Luckey, entrepreneur américain, fondateur d’Anduril Industries, célèbre pour ses systèmes de surveillance et de détection utilisant l’intelligence artificielle: «Les sociétés ont toujours eu besoin de guerriers enthousiastes et passionnés par l’idée d’exercer la violence sur les autres pour atteindre des objectifs nobles».

Qu’il semble loin ce temps où, pour son discours d’adieu en janvier 1961, le président Eisenhower mettait en garde contre le «complexe militaro-industriel». Soixante-quatre ans plus tard, Joe Biden évoque une oligarchie d’un type nouveau: «techno-industrielle».

Le nouveau président américain affirme souvent être un homme de paix. En attendant, il est cerné de tous côtés d’entreprises à qui la guerre — un maximum de guerres — rapporteront un maximum d’argent, et plus de puissance.


Le blog de Michel Santi

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