Deux écrivains algériens qui ne nous parlent que de l’humain

Publié le 16 mai 2025
Kamel Daoud, avec «Houris» (Prix Goncourt 2024) et Xavier Le Clerc (alias Hamid Aït-Taleb), dans «Le Pain des Français», participent à la même œuvre de salubre mémoire en sondant le douloureux passé, proche ou plus lointain, de leur pays d’origine. A l’écart des idéologies exacerbées, tous deux se réfèrent, en écrivains-poètes inspirés, à des figures féminines d’innocence, victimes parentes de la violence atroce et du déni, avec le même refus du ressentiment vengeur…

Certains écrivains n’ont peur de rien, vous direz-vous en ouvrant le dernier roman de Kamel Daoud, dont l’exergue tient de l’avertissement officiel, cité par manière de défi «limite» provocateur. Le livre que vous allez lire est, en effet, virtuellement interdit, avant de l’être effectivement en Algérie actuelle. Son contenu devrait valoir, à son auteur, le même sort que connaît actuellement le pair et ami de celui-ci, en la personne de Boualem Sansal, à savoir l’emprisonnement immédiat.
De fait, l’Article 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale algériennes, cité en toutes lettres, rappelle qu’est puni d’emprisonnement de trois ou cinq ans «quiconque, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale» et menace ainsi de «ternir l’image de l’Algérie sur le plan internationale». Or il est étonnant que cette mise en garde, bafouée à l’évidence par les écrits de Boualem Sansal, n’ait pas abouti à l’arrestation de celui-ci depuis des années déjà, et comment expliquer que les houris de Kamel Daoud gambadent encore en liberté hors des frontières algériennes? Et la même conclusion ne s’imposerait-elle pas à la lecture du Pain des Français, de Xavier Le Clerc, dont certaines pages achoppent également à la «tragédie nationale», impliquant non seulement les méfaits de la colonisation mais les séquelles de la guerre fratricide amplement documentés par Kamel Daoud?
De telles questions renvoient, évidemment, à l’absurdité d’une situation relevant d’une dictature que se défend d’être la «République algérienne démocratique et populaire», et le fait est que, loin de déshonorer leur pays «à l’international», Kamel Daoud et Xavier Le Clerc nous rendent ce pays et son histoire plus proches en nous révélant...

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