Publié le 20 novembre 2020
Voulez-vous être une victime ? Rien de plus simple, il suffit de suivre la tendance, et les résultats sont garantis !

Sebastian Dieguez, Vigousse

« C’est vraiment trop inzuste ! » Qui aurait prévu que la litanie d’un attachant personnage de dessin-animé des années 1970 deviendrait le slogan politique du IIIe millénaire ? Oh non ! Le malheur a encore frappé le pauvre Calimero, qui pourtant est bien brave et n’y peut rien ! Ah, si seulement il avait eu une bonne connexion internet et le droit de vote…
N’importe quel gamin de quatre ans a bien compris le truc : le rôle de victime attire la sympathie. A partir de cette constante plutôt chouette de l’esprit humain, on peut désormais bâtir des empires. Certes, il est bon d’être altruiste, empathique et compassionnel envers ceux qui sont moins bien lotis que nous, c’est même une nécessité pour les êtres sociaux et moraux que nous sommes. Mais l’idée, à la base, est d’éviter que les victimes restent des victimes, dans la mesure, précisément, où ce rôle n’a rien d’enviable. Or qu’observe-t-on aujourd’hui ? Cette position de victime est devenue un statut enviable, qu’il s’agit de revendiquer haut et fort, et dans laquelle il faut se complaire le plus longtemps possible.
Cet étrange renversement n’est pas nouveau. Le philosophe Bertrand Russell y avait consacré un essai en 1937 déjà, intitulé « la vertu supérieure des opprimés ». Il y décrivait un sophisme assez pervers : toute personne victime d’une oppression est perçue comme moralement bonne. Puisque le sort s’acharne sur Calimero, c’est qu’il est d’une vertu irréprochable. Une victime doit être une bonne victime, sans quoi elle est elle-même responsable de ce qui lui arrive. On connaît la chanson : « elle l’a bien cherché ». La nouveauté consiste à exploiter ce raisonnement foireux sans la moindre vergogne : je suis une bonne personne, mais je ne suis pas content de mon sort, donc je suis un...

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