La spéculation immobilière au dépend des citoyens

Publié le 14 février 2025
L’Espagne, qui compte 3 800 000 biens immobiliers non habités par leur propriétaire et où les loyers explosent, vient de prendre des mesures contre les acquéreurs étrangers. Comme elle, de nombreux pays sont victimes des prédateurs immobiliers. Dans ce contexte, la Suisse fait figure d’exemple.

«L’Ouest fait face à un défi majeur. Nous ne souhaitons pas que notre société soit divisée en deux classes: les riches propriétaires et les pauvres locataires». C’est en ces termes que s’est récemment exprimé le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez. Sous son impulsion, l’Espagne imposera prochainement à 100% toute propriété acquise par des non-résidents nationaux de pays n’étant pas membres de l’Union Européenne. Ces acquéreurs, une trentaine de milliers l’an dernier, sont motivés par la spéculation et, en majorité, ne vivent pas dans le pays. Ils représentent environ 15% de toutes les transactions immobilières en 2024, ce qui a provoqué une flambée des prix de près de 50% du parc immobilier, dépassant les sommets observés lors de la bulle immobilière de 2007.

Les habitants chassés des villes par la spéculation

Cette taxation rédhibitoire de 100% sur l’immobilier des non-résidents suit de peu la décision du gouvernement espagnol de supprimer le «golden visa» qui permettait aux non européens de pouvoir vivre et travailler pendant trois ans en Espagne, moyennant un investissement de 500 000 euros dans l’immobilier du pays. L’office de la statistique espagnol indique que 94% de ces visas octroyés étaient corrélés à un placement immobilier, principalement à des investisseurs de nationalité britannique, clairement les premiers visés par cette batterie de mesures. Dans un contexte où 3 800 000 biens en Espagne ne sont aujourd’hui pas habités par leur propriétaire, il va de soi que les autorités ont à cœur de favoriser leurs propres résidents qui souffrent considérablement de cette nouvelle bulle immobilière. Les abus se déclinent, par exemple, en des taxes payées par des propriétaires de 4 à 5 appartements en location de courte durée qui sont inférieures aux impôts acquittés par les hôtels. Il est désormais quasiment impossible de se loger décemment à Barcelone, à Madrid ou à Malaga. Les habitants de ces villes, et de bien d’autres, qui y vivent, y travaillent et y paient leurs impôts en sont chassés, la spéculation ayant contaminé le marché de la location qui s’est envolé de plus de 65% en 10 ans à Barcelone. Dans ces villes, le coût moyen de location d’une chambre atteint aujourd’hui 520 euros par mois pour des espaces de 8 à 14 mètres carrés, soit une augmentation de 12% pour la seule année 2024 et de 43 % au cours des trois dernières années.

L’exemple de Singapour et de la Suisse

Cette problématique ne se limite pas à l’Espagne. De nombreuses autres nations, y compris européennes, pâtissent de ces prédateurs immobiliers. Chaque pays réagit à sa manière. Deux d’entre eux ont toutefois réussi avec succès à endiguer la spéculation immobilière. Singapour, tout d’abord, souvent citée en exemple pour sa gestion rigoureuse, a graduellement mis en place une majoration de la taxation sur les transactions immobilières de 10 % en 2011 sur les achats immobiliers effectués par des étrangers, remontée à 15 % en 2018, puis à 20 % en 2023. Quant aux étrangers non-résidents, ils doivent s’acquitter de frais d’enregistrement de 60 % sur la valeur de la propriété convoitée.

Autre cas pertinent de contrôle de l’investissement immobilier étranger: la Suisse qui, contrairement aux majorations de taxes adoptées par d’autres pays, restreint strictement l’accès à la propriété. La «Lex Koller», adoptée en 1983, empêche en effet les étrangers non-résidents d’acheter des biens immobiliers dans le pays, sauf rares exceptions. En cas d’héritage, par exemple, ou d’intérêt économique particulier. Parmi les autres mesures mises en place: quota annuel par canton pour les acquisitions par des étrangers résidents, revente bloquée pendant plusieurs années pour éviter la spéculation, définition de zones touristiques définies et en nombre limité où les étrangers non-résidents peuvent se porter acquéreurs. Au final, seules 1,5 % des acquisitions de logements en Suisse furent réalisées par des étrangers en 2024.

Un signal fort à l’attention des investisseurs étrangers

Les nouvelles mesures espagnoles ont donc pour but d’envoyer un signal clair aux investisseurs étrangers et de permettre aux autorités de reprendre le contrôle sur leur marché immobilier afin d’accorder la priorité aux besoins de leurs citoyens. Vous me pardonnerez d’invoquer une fois de plus l’économiste britannique John Keynes qui avait beaucoup glosé sur ce phénomène de «pauvreté au milieu d’abondance», quand il n’est plus possible de se loger alors même qu’il y a un trop plein d’habitations.


Le blog de Michel Santi 

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat
Accès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Et si on parlait du code de conduite de Nestlé?

Une «relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée» vient de coûter son poste au directeur de Nestlé. La multinationale argue de son code de conduite professionnelle. La «faute» semble pourtant bien insignifiante par rapport aux controverses qui ont écorné l’image de marque de la société au fil des ans.

Patrick Morier-Genoud

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Stop au néolibéralisme libertarien!

Sur les traces de Jean Ziegler, le Suisse et ancien professeur de finance Marc Chesney publie un ouvrage qui dénonce le «capitalisme sauvage» et ses conséquences désastreuses sur la nature, le climat, les inégalités sociales et les conflits actuels. Il fustige les dirigeants sans scrupules des grandes banques et des (...)

Urs P. Gasche

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

La loi du plus fort, toujours

Le mérite de Donald Trump est d’éclairer d’une lumière crue, sans fioritures, la «loi du plus fort» que les Etats-Unis imposent au monde depuis des décennies. La question des barrières douanières est le dernier avatar de ces diktats qui font et firent trembler le monde, au gré des intérêts de (...)

Catherine Morand

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani
Accès libre

Comment la famille Trump s’enrichit de manière éhontée

Les deux fils du président américain viennent de créer une entreprise destinée à être introduite en bourse afin de profiter de subventions et de contrats publics de la part du gouvernement fédéral dirigé par leur père.

Urs P. Gasche

Trouver le juste cap dans la tempête

La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à (...)

Jacques Pilet
Accès libre

Les fonds cachés de l’extrémisme religieux et politique dans les Balkans

L’extrémisme violent dans les Balkans, qui menace la stabilité régionale et au-delà, n’est pas qu’idéologique. Il sert à générer des profits et est alimenté par des réseaux financiers complexes qui opèrent sous le couvert d’associations de football, d’organisations humanitaires et de sociétés actives dans la construction, l’hôtellerie ou le sport. (...)

Bon pour la tête

Le cadeau de Trump aux Suisses pour le 1er Août

Avec 39 % de taxes douanières supplémentaires sur les importations suisses, notre pays rejoint la queue de peloton. La fête nationale nous offre toutefois l’occasion de nous interroger sur notre place dans le monde. Et de rendre hommage à deux personnalités du début du 20e siècle: Albert Gobat et Carl (...)

Jean-Daniel Ruch

Rencontre inédite avec le vice-président de la Douma russe

Non, il n’a pas de cornes ni de queue fourchue, ni même de couteau entre les dents. Il ne mange pas non plus d’enfants ukrainiens au petit-déjeuner. Piotr Tolstoy semble être un homme normal. Quoique. A la réflexion, l’arrière-arrière-petit-fils de l’écrivain Léon Tolstoï possède un sens de l’ironie et un (...)

Guy Mettan