L’UE entre désarroi et fuite en avant

Publié le 1 décembre 2023
Les discours formatés des dirigeants de l’UE ne trompent personne. L’édifice est menacé dans ses fondements par la montée des nationalismes. Pays-Bas, Suède, Danemark, Hongrie, Slovaquie... et l’Italie, et la France, et l’Allemagne. D’autres à venir. La réponse proposée? Accélérer à marche forcée l’adhésion de l’Ukraine! A des coûts gigantesques. Face à cette aberration, les colères populaires monteront encore.

Le succès des formations nationalistes, qualifiées un peu hâtivement d’extrême droite, fort diverses en fait, se nourrit d’abord des craintes que suscite l’immigration. Mais pas seulement. Partout, l’inflation, l’accumulation des charges, fiscales aussi, sur les ménages, l’emballement des dépenses militaires, la récession économique dans plusieurs pays, tout cela multiplie les peurs. Qui virent à la colère. Sans parler de l’irritation provoquée par une Commission européenne qui prétend tout réglementer jusque dans les broutilles… ou jusque dans la liberté d’expression. Sans parler d’une politique dite verte qui multiplie les interdictions et les mesures coûteuses pour les particuliers. En Hollande des centaines d’agriculteurs, après des mois de protestations et manifestations dont on a trop peu parlé, ont dû finalement vendre leurs exploitations jugées non conformes. La colère paysanne a aussi nourri le succès de l’extrémiste Geert Wilders.

La présidente Ursula van der Leyen est pour beaucoup dans la profonde rogne. Elle pose, outrepassant son mandat, comme la cheffe des Européens. N’a-t-elle pas osé diffuser une vidéo où on la voit nous expliquer comment se laver les mains pour se prémunir du méchant virus et économiser l’eau? Plus sérieusement, elle continue de se moquer des opinions publiques et du Parlement européen en refusant de révéler les contrats faramineux d’achats de vaccins Pfizer qu’elle a négociés en douce, en tête-à-tête, via SMS. Elle ne cesse de préconiser l’alignement total sur les Etats-Unis. Alors que ceux-ci attirent les entreprises européennes en les couvrant de subventions, au mépris total des règles du commerce international. Alors que les sanctions anti-russes qu’ils ont exigées, reprises aveuglément, s’avèrent sans guère d’effets sur «l’ennemi», mais terriblement préjudiciables pour nos pays. Ceux-ci se voient d’ailleurs contraints de trouver toutes les combines pour les contourner.

Et voilà que la dame, suivie de ses dociles commissaires, vient d’annoncer un plan pour accélérer l’adhésion de l’Ukraine. Elle juge que 90% des mesures pour la rendre en phase avec le système communautaire ont été réalisées. Enorme mensonge. Ce malheureux pays reste rongé jusqu’à la moelle par la corruption en dépit de quelques coups donnés ici et là pour la galerie. Les élections présidentielles y ont été reportées sine die. Les partis restent aux mains des oligarques même si ceux-ci se font plus discrets. Les russophones et les minorités linguistiques se heurtent encore aux brimades. La liberté des médias reste très restreinte. La réforme de la justice est dans les limbes. Le droit du travail est suspendu, au grand profit des employeurs. Les formations et personnalités ultra-nationalistes, héritières des complices historiques du nazisme, sont honorées et très présentes dans les rouages du pouvoir et de l’armée. Tout cela est incompatible avec le B-A-BA de l’Union.

En attendant, une pluie de milliards devrait tomber sur l’Ukraine. Elle a reçu à ce jour 82 milliards de l’UE et des pays membres. Pour la période 2024-2027 il est prévu 50 milliards de prêts et de dons, en plus de ceux de la Banque européenne d’investissements, pour le budget de fonctionnement de l’Etat. Par ailleurs, les Etats membres consacrent près de 10 milliards d’euros aux livraisons d’armes sur leurs fonds propres, selon la Commission européenne. Les 27 se prononceront sur ces programmes à la mi-décembre. Pour l’heure, seule la Hongrie manifeste son opposition. Les autres veulent aller vite… avant que les gouvernements nationalistes ne s’installent et renâclent.

L’Ukraine a besoin d’aides. Personne ne le nie. Les Etats européens, Suisse comprise, se montrent d’ailleurs très généreux dans l’accueil des réfugiés, qui a aussi son prix. Mais les charitables contribuables ouest-européens ont droit à de sérieuses garanties sur l’emploi des colossaux versements à l’administration de Kiev. Ces garanties n’existent pas. Une part non négligeable de l’économie ukrainienne, malgré les coups qu’elle a subis, fonctionne encore. Mais les bénéfices des grandes sociétés exportatrices filent vers les paradis fiscaux. Les problèmes s’accumulent. La concurrence des produits agricoles ukrainiens, non soumis aux normes qualitatives et sociales de l’UE, mettent les paysans européens hors d’eux. Les producteurs de poulets français aussi! La frontière avec la Pologne est bloquée, ces jours, par les camionneurs polonais concurrencés par leurs collègues ukrainiens qui travaillent librement chez le voisin à bas coûts, n’étant eux non plus soumis à aucune norme sociale européenne.

La solidarité ne passe pas par la complaisance.

L’alignement systématique de Mme van der Leyen et consorts sur le gouvernement ukrainien, l’encouragement aveugle à la poursuite de la guerre à coups de livraisons d’armes ruineuses résultent d’une hybris nuisible aux intérêts des Européens. Ceux-ci ne l’accepteront pas longtemps encore.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin
Politique

Moldavie: victoire européenne, défaite démocratique

L’Union européenne et les médias mainstream ont largement applaudi le résultat des élections moldaves du 28 septembre favorable, à 50,2 %, à la présidente pro-européenne Maia Sandu. En revanche, ils ont fait l’impasse sur les innombrables manipulations qui ont entaché le scrutin et faussé les résultats. Pas un mot non (...)

Guy Mettan
Culture

Ecrivaine, éditrice et engagée pour l’Ukraine

Marta Z. Czarska est une battante. Traductrice établie à Bienne, elle a vu fondre son activité avec l’arrivée des logiciels de traduction. Elle s’est donc mise à l’écriture, puis à l’édition à la faveur de quelques rencontres amicales. Aujourd’hui, elle s’engage de surcroît pour le déminage du pays fracassé. Fête (...)

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Facture électronique obligatoire: l’UE construit son crédit social chinois

Le 1er janvier 2026, la Belgique deviendra l’un des premiers pays de l’UE à mettre en place l’obligation de facturation électronique imposée à toutes les entreprises privées par la Commission européenne. Il s’agit d’une atteinte majeure aux libertés économiques et au principe de dignité humaine, soutenu par l’autonomie individuelle. Outre (...)

Frédéric Baldan

A confondre le verbe et l’action, on risque de se planter

De tout temps, dans la galerie des puissants, il y eut les taiseux obstinés et les bavards virevoltants. Donald Trump fait mieux. Il se veut le sorcier qui touille dans la marmite brûlante de ses colères et de ses désirs. Il en jaillit toutes sortes de bizarreries. L’occasion de s’interroger: (...)

Jacques Pilet

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan

Le voyage chahuté d’Ursula

Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en (...)

Jacques Pilet
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet

Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible

Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais (...)

Guy Mettan