Publié le 21 juillet 2023

Les chefs des délégations et Vladimir Poutine, lors du dernier sommet Russie-Afrique, en octobre 2019 à Sotchi. – © Kremlin.ru / Source officielle

Certains pays africains, comme le Burkina Faso, se tournent désormais résolument vers des pays mis à l’index par les Occidentaux, tels la Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela, la Russie. Le président russe compte sur une participation massive des pays africains au Sommet Russie-Afrique qui s’ouvre la semaine prochaine à St-Pétersbourg, afin de prouver aux pays occidentaux qu’il n’est ni isolé ni fragilisé. Visé par la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre, Vladimir Poutine vient pourtant de renoncer à se rendre au mois d’août au Sommet des BRICS en Afrique du Sud, par crainte d’y être arrêté.

Le Burkina Faso fut pendant des décennies le pays «chouchou» des Suisses, qui s’y pressaient en nombre pour travailler dans la coopération au développement, visiter ou simplement vivre au «pays des hommes intègres». Mais au cours de ces dernières années, l’environnement politique, social, a bien changé – dans la foulée du renversement du président Blaise Compaoré; suivi de plusieurs coups d’Etat, accompagnés d’une défiance croissante à l’égard des Occidentaux en général et de la France en particulier, dont les 300 soldats des forces spéciales qui y étaient stationnés ont tous été chassés, et l’ambassadeur rappelé.

La Corée du Nord, l’Iran, le Venezuela, la Russie au lieu des pays de l’UE

Aujourd’hui, le président de la transition au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, assume pleinement sa volonté de se tourner vers de nouveaux partenaires non-occidentaux, objets, pour certains, de sanctions internationales. Fin mars, le gouvernement a ainsi annoncé le rétablissement de ses relations diplomatiques avec la Corée du Nord où devrait prochainement se rendre une délégation de haut niveau. Tandis que le 17 mai, le Burkina Faso informait de la réouverture de son ambassade à Téhéran, en République islamique d’Iran. C’est également au mois de mai dernier que le Premier ministre burkinabè Apollinaire Kyelem de Tambèla s’est rendu en visite officielle au Venezuela, d’où il a appelé la communauté internationale «à lever les sanctions prises à l’encontre de ce pays, car elles entravent son développement».

Dans un contexte où la France et l’Union européenne, pourtant très généreuses en la matière à l’égard de l’Ukraine, refusent de fournir au Burkina les armes dont ce pays aurait besoin pour armer les milliers de volontaires engagés pour préserver son intégrité terrirtoriale face aux attaques djihadistes, Ouagadougou a également renforcé ses liens avec la Turquie et la Russie pour obtenir le matériel militaire qui lui fait cruellement défaut.

Sommet Afrique-Russie: Poutine veut démontrer qu’il n’est ni isolé ni affaibli…

La coopération militaire sera d’ailleurs un des thèmes importants à l’agenda de la deuxième édition du Sommet Russie-Afrique qui se tiendra la semaine prochaine, les 27 et 28 juillet, à St-Pétersbourg, sous le slogan «Pour la paix, la sécurité et le développement». Selon le narratif diffusé depuis des mois par Moscou, la Russie entend y promouvoir l’avènement d’un nouvel ordre mondial, débarrassé de la tutelle américaine et occidentale, où la coopération russo-africaine aurait toute sa place.

Un nombre important de délégations sont en tout cas annoncées, dont certaines au plus haut niveau, malgré la guerre en Ukraine, malgré les pressions exercées sur nombre d’entre elles pour les dissuader de s’y rendre. Le 18 juillet, depuis Moscou, l’ambassadeur éthiopien en Russie Uriet Cham Ugala encourageait ses pairs à y participer, rappelant que «lorsque les pays africains luttaient contre le néocolonialisme, c’est la Russie qui les soutenait». Tout en reprenant à son compte le narratif de Vladimir Poutine sur «un monde unipolaire en train de céder sa place à un monde multipolaire».

Le président russe compte en tout cas sur une forte présence des chefs d’Etat du continent africain pour montrer aux Occidentaux qu’il n’est ni isolé ni affaibli. Pour y parvenir, il a notamment envoyé à deux reprises en début d’année son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en tournée en Afrique. Pour y encourager les présidents à se rendre à St-Pétersbourg la semaine prochaine, avec force promesses à l’appui, y compris celle de livrer gratuitement des céréales à certains pays africains, malgré la fin de l’accord céréalier.

… mais renonce à se rendre au Sommet des BRICS par crainte d’être arrêté

Un point qui ne figure cependant pas officiellement à l’ordre du jour du Sommet Afrique-Russie des 27 et 28 juillet, mais qui sera présent dans tous les esprits, c’est le sort réservé à Evgueni Prigojine, que plus personne n’a aperçu depuis sa tentative de coup de force, tandis que se multiplient les rumeurs prétendant qu’il a été tué. Reste que le mercredi 19 juillet, dans une mystérieuse vidéo publiée sur une chaîne Telegram, alors qu’il n’avait pas pris la parole depuis le 24 juin, Evgueni Prigojine aurait annoncé que ses mercenaires ne combattront plus en Ukraine mais se dirigeront vers l’Afrique. Info ou intox? Le maître du Kremlin cherche en tout cas à reprendre en main les combattants de Wagner; pour les placer sous la tutelle de l’armée russe ou celle d’autres compagnies militaires privées? La tâche s’avère en tout cas ardue. Car outre les activités militaires menées avec l’appui de l’armée russe, démêler l’entrelacs de sociétés privées créées par Wagner ou dans lesquelles Prigojine possède des parts, représente un véritable casse-tête. 

Outre la grand’messe de St-Petersbourg, le Sommet des BRICS qui doit se tenir en Afrique du Sud les 22 et 23 août représentait également un enjeu important pour Vladimir Poutine. Allait-il y participer, et courir le risque de s’y faire arrêter, compte tenu du mandat d’arrêt émis contre lui en mars dernier par la Cour Pénale Internationale (CPI), l’accusant de crime de guerre pour la déportation illégale d’enfants d’Ukraine vers la Russie? Théoriquement, l’Afrique du Sud, membre de la CPI, aurait pu et dû l’arrêter dès qu’il aurait posé un pied sur son territoire. Mais à plusieurs reprises ces derniers temps, le président sud-africain Cyril Ramaphosa avait fait savoir qu’il était hors de question d’arrêter Vladimir Poutine lors du Sommet des BRICS, qui unit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud dans une même volonté de peser davantage sur les affaires du monde. Et de tenir tête aux diktats des Occidentaux, souvent perçus par les non-occidentaux comme relevant du «deux poids deux mesures» et d’un sens de la justice à géométrie variable. Las. Le mercredi 19 juillet, le bras de fer prenait fin, piteusement, par le renoncement de Vladimir Poutine à se rendre à Johannesbourg, craignant, malgré tout, de se faire arrêter. Après la tentative de coup d’Etat de Prigojine le 24 juin dernier, cette reculade à la veille du Sommet Afrique-Russie, fait à nouveau vaciller l’image du maître du Kremlin sur son piédestal.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Pendant que l’Europe s’adonne à la guerre, le reste du monde avance

Les violences spectaculaires, les discours alarmistes et l’emballement idéologique ne relèvent pas du hasard. Mais tandis que l’Europe s’enferme dans la fureur et une posture irresponsable, le reste du monde esquisse les contours d’un ordre mondial alternatif fondé sur le dialogue, la retenue et la multipolarité.

Guy Mettan
Economie

Affrontement des puissances économiques: la stratégie silencieuse des BRICS

Alors que l’Occident continue de penser la puissance à travers les marchés financiers et les instruments monétaires, les BRICS avancent sur un autre terrain: celui des ressources, des infrastructures de marché et des circuits de financement. Sans rupture spectaculaire ni discours idéologique, ce bloc hétérogène participe à une recomposition géoéconomique (...)

Hicheme Lehmici
Politique

Arctique et Grand Nord: la bataille mondiale a bel et bien commencé

La fonte accélérée des glaces transforme la région en nouveau centre névralgique de la puissance mondiale: routes maritimes émergentes, ressources stratégiques et militarisation croissante y attisent les rivalités entre pays. Le Grand Nord — dominé pour l’heure par Moscou — est devenu le théâtre où se redessinent les rapports de (...)

Hicheme Lehmici
Politique

Comment jauger les risques de guerre 

A toutes les époques, les Européens ont aimé faire la fête. Des carnavals aux marchés de Noël, dont la tradition remonte au 14e siècle en Allemagne et en Autriche. Et si souvent, aux lendemains des joyeusetés, ce fut le retour des tracas et des guerres. En sera-t-il autrement une fois (...)

Jacques Pilet
Politique

Les Etats-Unis giflent l’Europe et font bande à part

Sismique et déroutante, la nouvelle stratégie de sécurité américaine marque une rupture historique. Après un exercice d’introspection critique, Washington opte pour un repli stratégique assumé, redessine sa doctrine autour des priorités nationales et appelle ses partenaires — surtout européens — à une cure de réalisme. Un tournant qui laisse l’Europe (...)

Guy Mettan
Politique

A Lisbonne, une conférence citoyenne ravive l’idée de paix en Europe

Face à l’escalade des tensions autour de la guerre en Ukraine, des citoyens européens se sont réunis pour élaborer des pistes de paix hors des circuits officiels. Chercheurs, militaires, diplomates, journalistes et artistes ont débattu d’une sortie de crise, dénonçant l’univocité des récits dominants et les dérives de la guerre (...)

Jean-Christophe Emmenegger
PolitiqueAccès libre

L’inquiétante dérive du discours militaire en Europe

Des généraux français et allemands présentent la guerre avec la Russie comme une fatalité et appellent à «accepter de perdre nos enfants». Cette banalisation du tragique marque une rupture et révèle un glissement psychologique et politique profond. En installant l’idée du sacrifice et de la confrontation, ces discours fragilisent la (...)

Hicheme Lehmici
Politique

La guerre entre esbroufe et tragédie

Une photo est parue cette semaine qui en dit long sur l’orchestration des propagandes. Zelensky et Macron, sourire aux lèvres devant un parterre de militaires, un contrat soi-disant historique en main: une intention d’achat de cent Rafale qui n’engage personne. Alors que le pouvoir ukrainien est secoué par les révélations (...)

Jacques Pilet
Politique

Etats-Unis: le retour des anciennes doctrines impériales

Les déclarations tonitruantes suivies de reculades de Donald Trump ne sont pas des caprices, mais la stratégique, calculée, de la nouvelle politique étrangère américaine: pression sur les alliés, sanctions économiques, mise au pas des récalcitrants sud-américains.

Guy Mettan
Politique

Les BRICS futures victimes du syndrome de Babel?

Portés par le recul de l’hégémonie occidentale, les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud — s’imposent comme un pôle incontournable du nouvel ordre mondial. Leur montée en puissance attire un nombre croissant de candidats, portés par la dédollarisation. Mais derrière l’élan géopolitique, l’hétérogénéité du groupe révèle des (...)

Florian Demandols
Politique

Pologne-Russie: une rivalité séculaire toujours intacte

La Pologne s’impose désormais comme l’un des nouveaux poids lourds européens, portée par son dynamisme économique et militaire. Mais cette ascension reste entravée par un paradoxe fondateur: une méfiance atavique envers Moscou, qui continue de guider ses choix stratégiques. Entre ambition et vulnérabilité, la Pologne avance vers la puissance… sous (...)

Hicheme Lehmici
Politique

Ukraine: un scénario à la géorgienne pour sauver ce qui reste?

L’hebdomadaire basque «Gaur8» publiait récemment une interview du sociologue ukrainien Volodymyr Ishchenko. Un témoignage qui rachète l’ensemble de la propagande — qui souvent trouble plus qu’elle n’éclaire — déversée dans l’espace public depuis le début du conflit ukrainien. Entre fractures politiques, influence des oligarchies et dérives nationalistes, il revient sur (...)

Jean-Christophe Emmenegger
Histoire

80 ans de l’ONU: le multilatéralisme à l’épreuve de l’ère algorithmique

L’Organisation des Nations unies affronte un double défi: restaurer la confiance entre Etats et encadrer une intelligence artificielle qui recompose les rapports de pouvoir. Une équation inédite dans l’histoire du multilatéralisme. La gouvernance technologique est aujourd’hui un champ de coopération — ou de fracture — décisif pour l’avenir de l’ordre (...)

Igor Balanovski
Sciences & TechnologiesAccès libre

Les réseaux technologiques autoritaires

Une équipe de chercheurs met en lumière l’émergence d’un réseau technologique autoritaire dominé par des entreprises américaines comme Palantir. À travers une carte interactive, ils dévoilent les liens économiques et politiques qui menacent la souveraineté numérique de l’Europe.

Markus Reuter
Politique

Quand la religion et le messianisme dictent la géopolitique

De Washington à Jérusalem, de Téhéran à Moscou, les dirigeants invoquent Dieu pour légitimer leurs choix stratégiques et leurs guerres. L’eschatologie, jadis reléguée aux textes sacrés ou aux marges du mysticisme, s’impose aujourd’hui comme une clé de lecture du pouvoir mondial. Le messianisme politique n’est plus une survivance du passé: (...)

Hicheme Lehmici
Politique

Et si l’on renversait la carte du monde!

Nos cartes traditionnelles, avec le nord en haut et le sud en bas, offrent un point de vue arbitraire et distordu qui a façonné notre vision du monde: l’Afrique, par exemple, est en réalité bien plus grande qu’on ne le perçoit. Repenser la carte du globe, c’est interroger notre perception (...)

Guy Mettan