Giorgia Meloni: une histoire italienne

Publié le 30 septembre 2022
Nous sommes dans la nuit du 25 au 26 septembre. Les résultats des élections italiennes sont tombés. Comme cela était prévu, Giorgia Meloni peut annoncer une franche victoire. 26% des voix pour son parti Fratelli d’Italia, 44% pour la coalition du centre-droit qu’elle guide. Cette femme entre dans l’histoire, sa vie prend un tournant nouveau, l’Italie aussi. C’est typiquement une histoire italienne qui est à l’œuvre.

Elle est Romaine, du quartier populaire de la Garbatella, ancré à gauche. Sa mère est d’origine sicilienne, conservatrice. Son père, d’origine sarde, un communiste de la première heure. Politiquement, Giorgia a plutôt choisi de suivre maman. Et pour cause: c’est à sa mère qu’elle doit tout, son père fut toujours absent. Ce qui peut paraître anecdotique ne l’est pas du tout: des origines insulaires, la vie dans un quartier populaire et l’éducation par une femme livrée à elle-même en disent long sur le caractère trempé et la férocité de la Meloni.

Que dire de son ouverture d’esprit, si l’on estime que son compagnon, avec qui elle a eu une petite fille, est un journaliste de gauche? Cela laisse espérer qu’elle sera une présidente du Conseil en dialogue et en collaboration avec ses adversaires politiques. Pour autant que la vie privée influe vraiment sur la vie politique…

Carrière brillante, mais…

Giorgia Meloni entre en politique à 15 ans, bouleversée par l’assassinat des juges Falcone et Borsellino. Elle gravit les échelons, jusqu’à devenir députée de la République italienne à 29 ans. Deux ans plus tard, elle est ministre de la jeunesse sous le gouvernement de Berlusconi. A la fin de ce mandat, elle a à chaque élection été réélue à la députation jusqu’à ce jour. Entretemps, elle a cofondé en 2012 le parti qu’elle dirige aujourd’hui. Sa voix retentit en dehors de l’Italie. Elle est élue en 2020 présidente du Parti des conservateurs et réformistes européens.

Une histoire de vie honorable, une carrière politique brillante pour cette battante. Les militantes féministes auraient de quoi s’enorgueillir de voir cette charmante blonde dominer aujourd’hui la sphère politique italienne. Mais l’orientation de la Meloni pose problème. Outre ses positions sociétales actuelles qui sont critiquées, quand elles ne sont pas caricaturées comme pour la question de l’avortement, c’est l’héritage de son parti qui ne passe pas.

«Post-fascisme»

D’où cela sort-il qu’on pleure à longueur d’éditos la victoire d’une «post-fasciste»? A 15 ans, Giorgia Meloni intègre le Movimento sociale italiano, fondé par des partisans du fascisme à l’issue de la Seconde guerre mondiale. Le parti est dissout en 1995 pour laisser place à l’Alleanza Nazionale, lequel passe chez Berlusconi en 2009, jusqu’à renaître de ses cendres en 2012 avec Fratelli d’Italia.

Les années ont passé, mais les distances avec le fascisme ont-elles été vraiment mises? Il semblerait que oui, si ce n’était pour le symbole de la flamme tricolore toujours présent dans le parti actuel. Ce symbole est traditionnellement considéré comme la flamme brûlant depuis la tombe d’un Mussolini dont l’idéologie politique vivrait toujours. Cette flamme qui fait tant parler aurait pu être mise de côté. Elle ne l’a pas encore été, en hommage à l’histoire du parti.

En tout cas dans ses déclarations, la droite italienne a aujourd’hui condamné son passé fasciste. Pourtant, une vidéo tourne où Meloni, s’exprimant en français, fait l’éloge de Mussolini. Ce n’est pas pour prendre sa défense, mais il faut considérer qu’à ce moment-là elle n’avait que 19 ans. On a plus le droit de dire des conneries à 19 ans qu’à 45 ans, et on a le droit de changer d’avis, de grandir et d’évoluer entretemps…

Du fascisme à la démocratie chrétienne

Dans les faits, on peut observer que Meloni et son parti sont bien davantage des héritiers de la très puissante Democrazia cristiana que du fascisme. Pour citer une grande figure de la politique italienne, Meloni est clairement dans la filiation politique de feu Giulio Andreotti, chef de file de l’aile droite de la démocratie chrétienne italienne. Aussi, Meloni se revendique profondément chrétienne et conservatrice, elle cite Jean-Paul II ou saint François d’Assise, ce qui ferait vomir le fascisme italien qui était anti-chrétien et moderniste.

On peut considérer qu’historiquement les Fratelli d’Italia ont un héritage fasciste, mais pas dans leur idéologie politique actuelle. D’autant plus que le fascisme existe toujours en Italie, et que le travail de mémoire est encore en cours. Les «c’était mieux quand il y avait les chemises noires», les bustes du Duce en vente, les saluts romains et les imitations racistes de singes dans les stades de foot face à des joueurs noirs sont une réalité en Italie. C’est une réalité néanmoins minoritaire qui ne correspond aucunement aux 26% des électeurs qui ont voté pour Meloni.

Il y a de quoi débattre, il y a de quoi soulever et attaquer dans le programme des Fratelli. Par exemple, le bloc naval pour stopper les passeurs de migrants. C’est une solution drastique et nécessaire pour certains, une tragédie inhumaine pour d’autres. Le problème a été qu’Enrico Letta et sa gauche avec le Partito democratico a voulu miser sur une campagne plus idéologique que pragmatique, en attaquant violemment l’adversaire. Il n’a pas réussi à convertir l’image de son parti, qui est vu comme le parti de l’establishment. Même si le PD a baissé, il reste quand même à 19% et se place en deuxième position: bien qu’affaiblie, la gauche italienne existe toujours, et a encore une force de renouvellement.

Ajoutons que contrairement à des partis qu’on aime qualifier d’«extrême-droite», Meloni est profondément européiste et atlantiste. Contrairement à ses camarades de coalition, elle est une anti-Poutine absolue, elle est favorable à la livraison d’armes en Ukraine et privilégie avant tout les liens historiques de l’Italie avec les Etats-Unis. Elle défend donc l’OTAN. Ce qui est loin de plaire à toute la droite. Il en va de même pour son européisme ferme… Elle est très proche sur ce point de la droite polonaise.

L’Italie, un laboratoire politique

La péninsule a vu naître, avant ses voisins, le fascisme. Elle a conçu la démocratie chrétienne et le centrisme, elle a créé un Berlusconi, précurseur d’un Trump, elle a élevé Renzi, précurseur d’un Macron. Aujourd’hui, elle envoie à la présidence du Conseil une jeune femme, mère de famille, conservatrice, anti-LGBT, chrétienne, de droite, alors que son parti n’avait obtenu que 2% des voix en 2013. Elle incarne une vraie nouveauté en Europe.

Cette élection a été l’expression d’un mécontentement, voire d’un désespoir au vu de l’abstention. Cette élection fut celle de gens fâchés et non des fachos. Cette élection est une typique histoire italienne, qui comme toute les histoires italiennes finit toujours par s’exporter. D’aucuns s’en réjouissent déjà, d’autres ont peur. Que les droites d’Europe s’inspirent de Meloni, de son habileté, de sa prudence et de sa modération et sympathie dans les médias; que les gauches se réveillent et proposent à nouveau des programmes populaires.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête
Accès libre

La politique étrangère hongroise à la croisée des chemins

Pour la première fois en 15 ans, Viktor Orban est confronté à la possibilité de perdre le pouvoir, le parti d’opposition de Peter Magyar étant en tête dans les sondages. Le résultat pourrait remodeler la politique étrangère de la Hongrie, avec des implications directes pour l’Union européenne.

Bon pour la tête
Accès libre

Les fonds cachés de l’extrémisme religieux et politique dans les Balkans

L’extrémisme violent dans les Balkans, qui menace la stabilité régionale et au-delà, n’est pas qu’idéologique. Il sert à générer des profits et est alimenté par des réseaux financiers complexes qui opèrent sous le couvert d’associations de football, d’organisations humanitaires et de sociétés actives dans la construction, l’hôtellerie ou le sport. (...)

Bon pour la tête

Les empires sont mortels. Celui de Trump aussi

Dans mon précédent papier, j’ai tenté de montrer comment la république impériale américaine (selon le titre d’un livre de Raymond Aron publié en 1973 déjà!) était en train de se transformer en empire autoritaire et velléitaire sous la férule Sa Majesté Trump 1er. Bonne nouvelle: les empires sont mortels et (...)

Guy Mettan
Politique

France-Allemagne: couple en crise

De beaux discours sur leur amitié fondatrice, il y en eut tant et tant. Le rituel se poursuit. Mais en réalité la relation grince depuis des années. Et aujourd’hui, l’ego claironnant des deux dirigeants n’aide pas. En dépit de leurs discours, Friedrich Merz et Emmanuel Macron ne renforcent pas l’Europe.

Jacques Pilet

Affaire Vara: telle est prise qui… Tel est pris aussi

Les vacances à Oman de la conseillère d’Etat neuchâteloise Céline Vara lui valent un tombereau de reproches. Il s’agit pourtant d’un problème purement moral qui pourrait très bien revenir en boomerang vers celles et ceux qui l’agitent. Ce billet d’humeur aurait aussi pu être titré «fétichisation des convictions politiques».

Patrick Morier-Genoud

Retour à l’îlot de cherté au détriment des consommateurs suisses

Lors de la session parlementaire de juin, nous assisterons à une attaque hypocrite et malheureuse contre le droit de la concurrence. Car si les «libéraux du dimanche» ̶ comme on les appelle désormais ̶ prônent la libre concurrence le dimanche, ils font en réalité pression contre elle le reste de (...)

Bon pour la tête
Accès libre

Extrémistes? Fachos? Pro-russes? La valse des étiquettes

Ces deux évènements donnent à réfléchir. Les services de renseignement allemands déclarent le principal parti d’opposition, l’AfD, «extrémiste de droite attesté». En Roumanie, le candidat «antisystème» arrive en tête du premier tour des élections présidentielles. Il est étiqueté «extrême-droite» et «pro-russe». Deux questions à se poser. Ces formations menacent-elles la (...)

Jacques Pilet
Accès libre

«Make Religion Great Again»: la place de la religion dans l’Etat trumpien

Le 7 février dernier, Donald Trump a créé au sein de la Maison Blanche un «bureau de la foi», chargé de renforcer la place de la religion aux Etats-Unis. Que signifie la création de cette nouvelle instance, et que dit-elle de l’administration Trump 2?

Bon pour la tête

Pourquoi la guerre en Ukraine va durer

Après avoir provoqué le scandale dans une Europe convertie au bellicisme et suscité l’espoir dans le reste du monde, l’offre de négociations de paix faite par Donald Trump à la Russie est en train de s’enliser. Pour une raison simple: trop d’acteurs, à commencer par les Ukrainiens, les Européens et (...)

Guy Mettan