Sanctions contre l’agresseur ou se couper de la Russie à jamais?

L’ex-conseillère fédérale genevoise défend l’argumentation du Département des affaires étrangères avec un aplomb qui contraste avec la pâtée rhétorique de Ignazio Cassis. L’extraordinaire contorsionniste tenta même, dans un débat au Club suisse de la presse à Genève, d’expliquer qu’un programme de mesures propre à la Suisse eût été une violation de la neutralité, mais l’alignement ne le serait pas…
Impossible de transcrire ici l’échafaudage sophistiqué entre politique ou droit de la neutralité qui permettrait de se joindre à l’UE sur toute la ligne sans relativiser le vieux principe. A peu près personne n’y croit hors du palais fédéral. Et encore moins à l’étranger. Ce qui est sûr, c’est que nous pouvons oublier les bons offices et les belles rencontres du style Biden-Poutine à Genève, lorsque la Russie est impliquée. En l’occurence, la Turquie et Israël ont pris le relais. Tout le monde s’est d’ailleurs habitué depuis longtemps à l’élasticité du concept. La Suisse fait partie du deuxième cercle de l’OTAN, le «Partenariat pour la paix», et a participé à plusieurs reprises à des manœuvres aériennes communes dans le nord de l’Europe. Elle achète des F-35 dont le système électronique est obligatoirement couplé à la surveillance américaine. Elle a fermé les yeux sur l’exportation des fameux appareils Crypto qui prétendaient assurer aux clients le secret des communications et les filait en réalité aux Américains. Alors l’hypocrisie, basta! On peut se plaindre ou se féliciter du choix, mais cessons le déni.
Si nous étions membre de l’UE, nous aurions pu participer à l’élaboration des sanctions, apporter les nuances souhaitées comme l’ont fait notamment les Allemands. Mais dans notre position de pays satellite, on prend le paquet sans piper mot. Il eût été possible de demander à participer au comité ad-hoc de l’UE, le Conseil fédéral semble-t-il n’y avait même pas pensé. L’acrobate Calmy-Rey a même le culot d’estimer que cette initiative eût été le pas de trop. Allez comprendre.
Qu’aurait-on pu dire ou faire de notre côté? Apporter un adjectif au mot sanctions: momentanées. Ce qui laisserait entrevoir un retour à la normalité après la fin de la guerre et un accord entre la Russie et l’Ukraine qui, à en juger par l’évolution de leurs revendications respectives, n’est pas exclu. Ou alors s’agit-il d’autre chose? Des sanctions qui s’ajoutent à d’autres plus anciennes, pour isoler la Russie sur le long terme, au-delà des péripéties effroyables d’aujourd’hui? Lui déclarer, après ces vastes mesures, une véritable guerre commerciale qui ferait très mal de part et d’autre et renforcerait le pôle russo-chinois? Bref, engager pour les décennies à venir une guerre froide menaçant de virer au chaud à tout moment?
Tout indique que le Conseil fédéral qui est monté en toute hâte dans le train ne s’est pas posé ces questions. En particulier de savoir comment Européens et Suisses pourront, s’ils le veulent, sortir un jour de ce régime de sanctions. L’expérience historique montre que celles-ci ont tendance à durer. Telles celles qui frappent Cuba depuis soixante ans sans le moindre effet politique mais qui touchent durement la population. Déclarer ces sanctions momentanées serait un encouragement vers une solution pacifique et diplomatique. Mais est-elle vraiment souhaitée?
On peut sérieusement en douter en ce qui concerne les Etats-Unis. Qui, à court terme, ont tout à gagner dans la crise. L’OTAN se renforce et redore un blason pas mal terni – pour rester dans la litote – par ses guerres peu glorieuses en Serbie, en Irak, en Afghanistan ou en Libye. Aventures totalement hors du droit international qui, soit dit en passant, n’ont entraîné aucune sanction contre les Américains (ou les Français à l’époque de Sarkozy!). Le lobby de l’armement US est aux anges: les Européens croient nécessaire d’acheter pour des centaines de milliards d’armes et d’avions. Une aubaine. Les braves gens n’ont qu’à payer. Et l’on n’est pas mécontent non plus à Washington de soumettre à une influence déjà considérable mais accrue tous les gouvernements européens, de tenter ainsi d’affaiblir leur union. Sans grand succès heureusement. Plusieurs d’entre eux commencent à se demander si le grand frère d’outre-Atlantique ne les a pas poussés un peu dans la panade. Ceux qui se demandent comment on se chauffera l’hiver prochain. Et même la Pologne qui n’en revient pas qu’on lui ait demandé d’envoyer à ses risques et périls ses vieux Mig en Ukraine. Une idée bizarroïde de Biden, dont les prochaines suggestions seront accueillies avec prudence et circonspection.
Y a-t-il à Berne des réflexions approfondies sur le bouleversement en cours du paysage géo-stratégique mondial? On ne peut que l’espérer. Sans trop y croire. En attendant, certains départements font du zèle. Le Département d’Etat américain a demandé aux pays amis de boycotter la participation de tous les sportifs russes et les contacts avec leurs organisations. La conseillère fédérale Viola Amherd a accepté officiellement la demande. Alors que personne n’aurait bronché si elle avait ignoré cet ukase. Quant aux autorités responsables de la science et de la culture, on ne les entend pas sur la volonté dans tant de cénacles distingués de couper tous les ponts.
Personne, à la tête de la Suisse, n’a dit, à la différence du président Macron, que l’indignation justifiée devant l’agression, la réponse énergique à lui apporter ne sont pas une déclaration de guerre au peuple russe. Qui a tant apporté à notre culture. Qui mérite le respect et l’écoute, quelle que soit l’évolution du régime qu’il subit.
Ou alors veut-on que ce proche et grand pays bascule totalement dans l’orbite asiatique? Si cela se produit – et c’est en cours! – bien des dirigeants américains, européens, suisses aussi, pourraient un jour s’en mordre les doigts.
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