«Quand les Suisses arrivaient je m’enfuyais comme un beau diable!»

Publié le 31 décembre 2021
La «NZZ» publie un reportage de Samuel Misteli sur la Tanzanie, soutenue depuis six décennies par l’aide au développement suisse. Avec quel bilan? La directrice de la DDC, Patricia Danzi, vient de s’y rendre et se pose beaucoup de questions. Le journaliste ne s’est pas contenté de la suivre. Il s’est transporté dans une petite ville, Ifakara, perdue à des heures de route de la capitale Dar-es-Salam.

Des Suisses pleins de bonne volonté y ont débarqué très tôt, dès l’indépendance accordée par la Grande-Bretagne en 1961 à cette petite république d’Afrique de l’est. Les vieux racontent. «Autrefois on pensait que tous les Blancs étaient suisses», «ce sont les Suisses qui ont apporté le développement». Ou «quand les Suisses arrivaient je m’enfuyais comme un beau diable». Pourquoi? Parce que les médecins pratiquaient des prises de sang pour lutter contre la malaria et d’autres maladies infectieuses qui faisaient des ravages.

Les quelque 900 millions apportés par la Suisse en soixante ans ont sans doute porté leurs fruits. Des routes, des ponts, des réseaux d’eau, un hôpital qui emploie 250 personnes, la liste des bienfaits est longue. Mais l’Etat tarde à prendre le relais, longtemps dominé par un dictateur excentrique, décédé récemment. Patricia Danzi fait le point, avant de signer un nouvel engagement de quatre ans. Logée à l’hôtel Edelwyss, sur les hauteurs de Morogoro, tenu par un couple helvetico-tanzanien. Elle y rencontre des jeunes gens qui lui parlent de startups, lui expliquent comment ils entendent sortir leur pays de la misère. Le problème, c’est que les infrastructures vieillissent, dépassées par la croissance de la population, les conduites d’eau rouillent, les routes se détériorent, l’hôpital a besoin de nouveaux équipements…

Les Suisses ne sont plus seuls, Israéliens, Italiens sont aussi à la tâche. L’aide change de forme. Sabine Renggli, épidémiologiste de 36 ans qui parle fort bien le swahili, développe une application qui permet de mieux doser les médicaments. Mais au fond des campagnes, l’électricité manque souvent pour recharger les tablettes didactiques…

Qui va payer à la longue tous ces efforts, tout l’entretien nécessaire? Devant son petit-déjeuner, Patricia Danzi confie au journaliste: «L’aide au développement du dernier millénaire, bien que pensée pour le bien, a créé certaines dépendances. Idéalement un pays ne devrait pas rester accroché à cette aide pendant plus de soixante ans.» En attendant une réponse à cette interrogation, la directrice de la DDC doit décider s’il faut envoyer de nouveaux équipements à l’hôpital. Sans savoir qui les réparera demain.


Lire l’article original.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Santé

Le parlement suisse refuse de faire baisser les coûts de la santé

Chaque année, à l’annonce de l’augmentation des primes d’assurance maladie, on nous sert comme argument l’inévitable explosion des coûts de la santé. Or ce n’est pas la santé qui coûte cher, mais la maladie! Pourtant, depuis des années, une large majorité de parlementaires rejette systématiquement toute initiative en lien avec (...)

Corinne Bloch
Politique

Le déclassement géopolitique de la Suisse est-il irréversible?

Même s’il reste très aléatoire de faire des prévisions, il est légitime de se demander aujourd’hui ce que nos descendants, historiens et citoyens, penseront de nous dans 50 ans. A quoi ressemblera la Suisse dans un demi-siècle? A quoi ressembleront l’Europe, si elle n’a pas été «thermonucléarisée» entre-temps, et le (...)

Georges Martin

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud

Les fantasmes des chefs de guerre suisses

Il arrive que le verrou des non-dits finisse par sauter. Ainsi on apprend au détour d’une longue interview dans la NZZ que le F-35 a été choisi pas tant pour protéger notre ciel que pour aller bombarder des cibles à des centaines, des milliers de kilomètres de la Suisse. En (...)

Jacques Pilet

L’identité numérique, miracle ou mirage?

Le 28 septembre, les Suisses se prononceront à nouveau sur l’identité numérique (e-ID). Cette fois, le Conseil fédéral revient avec une version révisée, baptisée «swiyu», présentée comme une solution étatique garantissant la souveraineté des données. Mais ce projet, déjà bien avancé, suscite des inquiétudes quant à son coût, sa gestion, (...)

Anne Voeffray

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet

Tchüss Switzerland?

Pour la troisième fois en 20 ans, le canton de Zurich envisage de repousser au secondaire l’apprentissage du français à l’école. Il n’est pas le seul. De quoi faire trembler la Suisse romande qui y voit une «attaque contre le français» et «la fin de la cohésion nationale». Est-ce vraiment (...)

Corinne Bloch
Accès libre

Nos médicaments encore plus chers? La faute à Trump!

En Suisse, les médicaments sont 50 à 100 % plus coûteux que dans le reste de l’Europe. Pourtant, malgré des bénéfices records, les géants suisses de la pharmaceutique font pression sur le Conseil fédéral pour répercuter sur le marché suisse ce qu’ils risquent de perdre aux Etats-Unis en raison des (...)

Christof Leisinger

Jean-Stéphane Bron plaide pour une diplomatie «de rêve»

Plus de vingt ans après «Le Génie helvétique» (2003), puis avec l’implication politique élargie de «Cleveland contre Wall Street» (2010), le réalisateur romand aborde le genre de la série avec une maestria impressionnante. Au cœur de l’actualité, «The Deal» développe une réflexion incarnée, pure de toute idéologie partisane ou flatteuse, (...)

Jean-Louis Kuffer

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse

Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement (...)

Jamal Reddani

Quand la France et l’UE s’attaquent aux voix africaines

Nathalie Yamb est une pétroleuse capable de mettre le feu à la banquise. Elle a le bagout et la niaque des suffragettes anglaises qui défiaient les élites coloniales machistes du début du XXe siècle. Née à la Chaux-de-Fonds, d’ascendance camerounaise, elle vient d’être sanctionnée par le Conseil de l’Union européenne.

Guy Mettan

Cachez ces mendiants que je ne saurais voir!

Après une phase que l’on dira «pédagogique», la Ville de Lausanne fait entrer en vigueur la nouvelle loi cantonale sur la mendicité. Celle-ci ne peut désormais avoir lieu que là où elle ne risque pas de déranger la bonne conscience des «braves gens».

Patrick Morier-Genoud

La Suisse ne dit pas non aux armes nucléaires

Hiroshima, qui commémorait le 6 août les 80 ans de la bombe atomique, appelle le monde à abandonner les armes nucléaires. Mais les Etats sont de moins en moins enclins à y renoncer.

Jacques Pilet

Quentin Mouron ressaisit le bruit du temps que nous vivons

Avec «La Fin de la tristesse», son onzième opus, le romancier-poète-essayiste en impose par sa formidable absorption des thèmes qui font mal en notre drôle d’époque (amours en vrille, violence sociale et domestique, confrontation des genres exacerbée, racisme latent et dérives fascisantes, méli-mélo des idéologies déconnectées, confusion mondialisée, etc.) et (...)

Jean-Louis Kuffer