Une figure déjà historique

Publié le 24 novembre 2023

Javier Milei et sa sœur Karina. – © DR

Le personnage extravagant soudain surgi à la présidence de l’Argentine a de quoi stupéfier le monde. Par son discours à la fois anarchiste et ultra-capitaliste, surtout par des provocations sans précédents. En comparaison, Trump – qu’il admire – est un enfant de chœur. La presse latino-américaine n'en finit pas de révéler des facettes incongrues du méga-trublion. Ce qui ne l’empêche pas de rappeler aussi que cet économiste a élaboré une vraie doctrine, exposée dans plusieurs livres, principalement «El camino del libertario» (Le chemin du libertaire).

Le quotidien La Nación parle de sa campagne comme «une bataille culturelle», menée avant tout à la télévision, sur les réseaux sociaux. Affichant avec une verve inouïe son image de provocateur dressé contre les élites exécrées, les figures désastreuses du passé, contre un Etat jugé envahissant. Jamais une élection n’a été marquée à ce point par un show aussi effervescent et effréné. Le journal rappelle avec force détails l’enfance de Milei, fracassée par un père, conducteur de bus de son état, qui le frappait et l’humiliait tous les jours. «Après tant de coups, je n’ai plus peur de rien!» Il a longtemps parlé de ses parents comme ses «progéniteurs». Moins banal, son lien incroyablement étroit avec sa sœur Karina qu’il qualifie de «Messie», qui a dicté ses pas à toutes les étapes. «C’est ma cheffe!», assure-t-il, posant avec elle en toutes occasions. Un tel duo frère-sœur au pouvoir, c’est probablement unique dans l’histoire.

La Nación raconte aussi comment Milei a développé un mysticisme particulier. «Il m’est arrivé des choses très fortes qui dépassent toute explication scientifique». Il parle à Dieu qu’il appelle «El Uno», à l’aide des tarots de sa sœur. Son maître fut le professeur d’économie espagnol Jesús Huerta del Soto qui affirme que «Dieu est libertaire» et que «l’Etat est l’incarnation du Malin, du démon, la courroie de transmission du mal». Le président élu est aussi en télépathie avec un chien qu’il vénéra, Conan. A sa mort il le fit cloner – pour 50’000 dollars – et possède aujourd’hui quatre successeurs qu’il désigne comme ses conseillers en économie!

Cela n’inquiète manifestement pas les électeurs, pas plus que l’évocation de sa vie sexuelle. Partisan de l’amour libre mais opposé à l’avortement. Son franc-parler plaît plutôt. Il n’a pas hésité à raconter lors d’un show télévisé qu’il pratique diverses formes de sexe «tantra», ce qui lui permet de n’éjaculer qu’une fois tous les trois mois.

Outre sa sœur toute-puissante, d’autres femmes l’entourent, que présente le journal El Mundo. La future vice-présidente, Victoria Villarruel, qui se distingue par son négationisme des horreurs de la dictature militaire (1976-1983). Elle entend fermer le musée consacré à ce chapitre noir de l’histoire. Lilia Lemoine, députée élue, visagiste du président, «influenceuse» active sur les réseaux sociaux. Enfin la blonde Fatima Flores que Milei a épousée en août passé, probablement pour offrir au public une image de couple acceptable. Une star de la télévision, célèbre pour ses imitations caricaturales de l’actuelle vice-présidente Cristina Fernandez.

Au-delà de ces informations piquantes, la presse argentine souligne ces derniers jours les difficultés que rencontrera la présidence à l’heure de l’action. Milei devra trouver des alliances, à droite certes, mais celle-ci le freinera au vu de ses propres intérêts partisans. Aucun des gouverneurs élus dans les 24 provinces de la république fédérale n’est de son bord. Si les subventions sociales, aujourd’hui assez abondantes, sont supprimées, les désordres sont annoncés. Le provocateur a d’ailleurs déjà commencé à mettre de l’eau dans son vin. Il parle moins de la dollarisation de l’économie et repousse la fermeture annoncée de la Banque nationale. Mesures applaudies… par la Neue Zürcher Zeitung! La dollarisation n’a pas été un miracle pour trois pays qui l’ont adoptée, le Panama, l’Equateur et le Salvador. Et l’on sait, depuis l’ère du président Menem, que l’abandon d’une monnaie fluctuante peut lourdement pénaliser les exportations.

Selon La Nación encore, la transition des pouvoirs se fait de manière apaisée et «rationnelle». Un Milei rasé de près, en costard-cravate, a rencontré le président sortant, Alberto Fernandez et a d’ores et déjà accepté de s’entourer des experts qui lui ont été recommandés. Ceux-ci suggèrent toutes sortes de moyens drastiques pour casser l’hyperinflation. Et devront aussi assurer au nouveau gouvernement de bonnes relations avec Washington et le FMI. Le provocateur d’hier s’efforce aujourd’hui de se débarrasser de son image «trumpiste». Et tente de rassurer tous azimuts. «Je ne veux pas d’une Argentine à 80% de pauvres!», lance l’ultra-libéral.

Reste que, selon El Pais, les actions cotées des entreprises argentines ont fait un bond de 36% à Wall Street au lendemain de l’élection. Dans le sillage de celles de YPF, l’entreprise pétrolière à majorité publique, promise à la privatisation. Les USA ont un nouvel allié, certes turbulent mais farouchement anti-communiste. Israël aussi. Le nouveau président promet de se rendre au plus vite à Jérusalem. Il est d’ailleurs en train de se convertir au judaïsme. Mais dans l’immédiat, ses prières auront un autre but: éviter le chaos à son pays. Et tenter de le redresser avec tous les moyens imaginables. Sans trop se référer à ses discours de campagne enflammés.

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