Publié le 18 août 2020
A l’Espace Dém’Art de Lausanne, trois générations de la même famille exposent ensemble, et dans le désordre, peintures, dessins et photographies. C’est hors-norme, kaléidoscopique.

Cette exposition est improbable à plus d’un titre, c’est l’une de ses qualités. L’Espace Dém’Art, où elle se tient, est un des derniers vestiges de ce que fut la zone du Flon avant sa gentrification. Il se trouve au bout des Côtes de Montbenon, après une série de commerces branchés, en bordure de la fameuse forêt du Flon, sauvée in-extremis des tronçonneuses. Il était prévu de construire ici une Maison du livre, ce qui aurait empêché une exposition comme celle-ci, n’appartenant pas à la culture officielle, de se tenir à cet endroit aujourd’hui. Et l’exposition aurait dû avoir lieu en mai, mais le Covid-19 est passé par là et elle se tient du 13 au 23 août, ce qui n’est pas franchement idéal.

Cela n’empêche pas Michèle, Léo et Alexis Maillard de sourire. La grand-mère, 75 ans, le fils, 47 ans, et le petit-fils, 22 ans, dont les œuvres sont réunies, mêlées, entremêlées dans la même exposition: «So far… so good (Jusqu’ici tout va bien)». Dessins, peintures, photographies, quelques bois peints. Il n’y a pas de logique apparente dans l’accrochage. Peut-être juste des connivences de couleurs entre les dessins du petit-fils et les peintures de la grand-mère ou les photographies du fils. «Nous avons accroché une partie de nos pièces en utilisant les trous déjà fait dans les murs lors des précédentes expositions», s’amuse Léo Maillard.

Dans le désordre et les contrastes

Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas de compétition entre les trois. Ils ont l’habitude de se montrer ce qu’ils font, de s’intéresser les uns aux autres. Michèle a appris la photo avec Suzy Pilet, Léo est scénariste et cinéaste, ils vivent à Lausanne, tandis qu’Alexis étudie les arts visuels et le cinéma à Athènes. «Au fil des années, le rapport à l’image est devenu le moyen le plus fluide et le plus essentiel pour dialoguer sans mots, combler les distances entre nous, entre la Suisse et la Grèce.»

Ils disent aussi avoir «décidé d’exposer leurs productions dans le désordre et les contrastes», pourtant tout semble cohérent. «Pour tout vous dire, je m’inquiète, en couleur», dit Michèle. Son fils Léo répond: «Pour moi, le doute est un luxe et le dialogue, un nectar», tandis que son fils à lui, Alexis, conclu: «Si je suis perdu, alors vous l’êtes aussi.»

Finalement, il faut peu de temps pour apprendre à repérer quoi est de qui sur les murs, et ensuite pour finir par comprendre que ça a peu d’importance. D’ailleurs, père et fils font parfois œuvre commune, l’un dessinant sur les photos de l’autre. Et ils s’y sont mis à trois pour l’affiche: une photo de Léo sur laquelle se trouvent des dessins d’Alexis et de Michèle.

Mais bon, je ne vais pas faire semblant de m’y connaître en art. Cette exposition est belle avant tout parce qu’elle est libre, kaléidoscopique, hors-norme, éphémère. Et au-delà des œuvres prisent individuellement, il s’en dégage une étrange ambiance, un cocktail de ressentis et d’époques qui agit sur les sens.

C’est une affaire de famille, mais même si vous n’en faites pas partie, vous y êtes les bienvenus.


«So far… so good», Alexis Maillard Angelopoulos, Michèle Maillard Rigo, Léo Caleb Maillard, Espace Dém’Art, Côtes de Montbenon 17, Lausanne, du 13 au 23 août. Le site

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