Sur la route avec les convois de la liberté

Publié le 18 février 2022
Fatigués. Fatigués de subir. Une grande fatigue mondiale qui revendique la dignité. Partis de partout en France, les convois de la liberté convergent vers Paris pour exprimer leur ras-le-bol. Pacifiquement. Mais qui sont-ils, ces petites gens qui disent non? Je suis allé le leur demander.

Troyes, le 11 février 2022. Leur point commun: pas contents! Marre de l’arrogance des gouvernements, de l’incohérence des politiques, de la fracture sociale. Marre de voir des ultramultimilliardaires s’envoyer en l’air dans des fusées pas propres, d’entendre leur président leur dire qu’il a très envie de les emmerder, marre d’être ostracisés parce qu’ils pensent autrement, marre que d’autres qu’eux veuillent décider de ce qui est bon pour eux. 

Qui êtes-vous?

Des complotistes, il y en a, c’est sûr. A la louche, un petit tiers environ. Pour eux, le mensonge est partout, c’est leur vérité. Biden n’a pas été élu, Macron non plus. Tout est truqué. Les pédophiles mènent le monde, surtout les pédophiles francs-maçons. Bon. Ils sont sincères, pas méchants et plutôt inoffensifs quand ils sont seuls. Rien à dire de plus, ils ont le droit d’exister, comme les poissons rouges, et nous, nous avons le droit de ne pas être dupes. Et puis on est tellement vite taxé de complotiste, il suffit juste de sortir de la doxa gouvernementale ou populaire. C’est pratique, ça évite toute discussion, toute remise en question. Bien sûr, affirmer que c’est la CIA qui a envoyé des Boeings dans les tours du World Trade Center ou que les traînées d’avion («chemtrails») sont là pour décimer la population, c’est extrême, mais affirmer que les Big Pharmas incitent les gouvernements à adopter la vaccination obligatoire pour augmenter leurs profits, c’est du complotisme ça? 

Puis il y a les philosophes. Un deuxième tiers. Jean par exemple. Quand j’ai demandé à Jean la première chose qu’il ferait s’il était président, il m’a répondu: «démissionner». Jean me dit que le système ne convient pas. En fait, tous disent que le système ne convient pas, c’est pour ça qu’ils sont là, pour le secouer, le système. Monsieur Paul est assez d’accord. Monsieur Paul, c’est des fois moi. Jean me dit qu’on décide pour nous au-delà de toute dignité, Monsieur Paul est tout à fait d’accord. Jean se demande pourquoi les vaccinés, alors qu’ils ne craignent plus rien – justement parce qu’ils sont vaccinés –, pourquoi ils veulent interdire aux non-vaccinés d’aller boire un café en terrasse. De quoi ont-ils peur? Je lui tombe dans les bras. Jean et moi, on se comprend. Je lui explique qu’ils le font «pour notre bien», il me rétorque que ça lui rappelle sa maman. On se marre. Jean vient de Marseille, il trouve injuste qu’on ne le laisse pas s’asseoir à une terrasse au soleil juste parce qu’il souhaite ne pas s’injecter dans le corps un truc auquel il ne fait pas confiance. «Ça sert à quoi d’être vacciné si on a encore peur?» me demande-t-il en boucle. Je ne peux pas le lui expliquer, je ne comprends pas non plus.

Diversité: présences hétéroclites et motivations variées. © M. Finsterwald

Et puis il y a le troisième tiers, les politiques. Pour Pascal, c’est la liberté qui compte. La démocratie est à bout de souffle, épuisée, dénaturée. Comme beaucoup d’autres, Pascal veut un changement de ces institutions qui ne fonctionnent plus qu’au profit des peureux, des puissants et des riches. Monsieur Paul pense que Pascal n’a pas tort. Certains souhaitent un «Great Reset», pas à la sauce du World Economic Forum mais par le peuple pour le peuple. Et quand la démocratie est engluée, reste la révolution… ou plus modestement les Convois de la Liberté. Pour tenter d’entrouvrir les yeux trop fermés.

Le passe vaccinal lui aussi tue… et nous sommes complices

On sait que le but du passe est de pourrir la vie des non-vaccinés, pour leur forcer la main. Ça n’est pas un scoop, c’est même exprimé dans ces termes détestables et méprisants du président soi-disant de tous les Français qui susurre, sourire aux lèvres: «Moi, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder.» Un président ne devrait pas dire ça. Parce que l’exclusion de la vie sociale peut amener non seulement à la dépression voire au suicide, mais aussi à une mort plus directe. Hana Horka, chanteuse du groupe Folk Asonance, est morte à l’âge de 57 ans après avoir délibérément contracté le virus pour obtenir le passe sanitaire et continuer à vivre une vie un tant soit peu normale. Hana Horka payait ses impôts, n’enfreignait aucune loi, ne faisait de mal à personne. Elle est morte d’être exclue… par le passe vaccinal.

Pascal demande que nos gouvernants, nos ministres soient mis en garde-à-vue, soumis au jugement d’un tribunal de citoyens tirés au sort. Instaurer des mesures liberticides (et à l’extrême, criminelles) sous de faux prétextes pour des raisons populistes ou pour imposer ses propres vues est condamnable. La fin ne justifie pas les moyens quand on a une certaine moralité. Monsieur Paul pense que Pascal n’a pas tort.

Seuls ou en groupe, des gens bien, normaux… le plus souvent. Jean craignait le froid de la nuit dans sa petite voiture, mais il a dormi au chaud dans un camping-car accueillant. Fraternité ici n’est pas un vain mot. © M. Finsterwald

Enfin il y a le quatrième tiers (j’ai mis quatre tiers parce que celui des complotistes est à part): celui des Gilets Jaunes. Sédentaires des ronds-points, ils apprennent la mobilité, ils deviennent nomades, ça leur va. Ce qui compte, c’est d’être ensemble, c’est la solidarité, la chaleur humaine. Le pouvoir d’achat reste leur problème majeur et ils veulent la fraternité. 

Philosophes, politiques, Gilets Jaunes, il y a de la porosité, mais tous ces gens-là veulent la liberté, l’égalité et la fraternité… et le respect. C’est leur revendication. Mais la liberté, l’égalité et la fraternité, c’est trop, ça fait peur: on a vu ce que ça a donné en 1789…. Alors on interdit l’entrée de Paris et on déploie les blindés sur les Champs-Elysées.

Bribes de dialogues impromptus

«- Je suis triple vacciné, le vaccin est un très bonne chose, mais chacun doit rester libre de décider s’il en veut ou pas (Norman).

– Quand on dit « pas de masques pour nos enfants, laissez-les respirer », quand on dit « ne les vaccinez pas, ils ne craignent rien et on ne sait jamais, on n’a pas de recul », quand on dit « et le gouvernement nous a déjà raconté tellement de craques », vous trouvez ça irresponsable vous? (Nadège).

– Notre liberté s’arrête là où commence celle de l’autre, mais c’est le pouvoir qui place le curseur, comme ça l’arrange. L’Etat, lui, n’admet pas que sa liberté s’arrête là où commence la nôtre (Chloé).

– On veut un retour au local, pour produire, pour consommer, pour nos lois aussi (Marc).

– La première moitié du XXème siècle a été celle des Années folles et de la guerre: la joie et le courage; pour la seconde moitié, liberté et insouciance; aujourd’hui, peur et déprime. Le principe de précaution est devenu notre seul dieu (Christophe). 

– Je crois que le gouvernement n’a pas de mal à nous comprendre, mais qu’il a du mal à nous prendre en compte (Emilie).

– Les médecins disent qu’on refuse toute discussion, mais en fait ils ne sont d’accord de discuter que pour nous convaincre qu’ils ont raison, pas pour écouter nos arguments (Monsieur Paul). 

– Vous avez de la chance en Suisse avec votre système démocratique (Pascal).

– Si on conteste, on est taxé d’irresponsable. C’est plus simple que d’affronter son manque de cohérence et ses erreurs (Pascal).

– Les médias sont aux ordres, ils ont pour instruction de se conformer à la ligne gouvernementale, de relayer les scénarios catastrophistes et les bienfaits décrétés par des sages autoproclamés des décisions en matière sanitaire» (Jacques).

Puis le retour

Songeur. J’ai roulé une partie de la nuit, il est 9 heures du matin, le temps est radieux, ça bouchonne grave. Nous avançons à dix à l’heure. A côté de moi, une Porsche Cayenne, avec un coffre à ski Thule sur le toit. Dans la Porsche, un couple de quadra, passe vaccinal en poche, va skier. Comme l’essentiel des habitants de cette marée de métal. Ils ne se posent pas de questions, eux.

Les premiers de cordée vont skier, la vraie liberté! © M. Finsterwald

Par une expérience de pensée, je mène une interview imaginaire avec les passagers de la Porsche:

Alors Charles-Edouard, que pensez-vous des Convois de la Liberté?

– Des inconscients, des irresponsables. Ils voudraient décider de faire ce qu’ils veulent, mais heureusement qu’en démocratie il y a des lois pour les obliger à faire ce qui est juste et bien, c’est-à-dire ce que je veux moi, comme la majorité des gens.

Et qui décide de ce qui est juste et bien?

– Eh bien justement la majorité, c’est pour ça que la démocratie est faite. Quelles questions idiotes vous posez Monsieur le journaliste!

Et vous Madame Audrey, qu’en pensez-vous?

– Je pense que ces gens-là, puisqu’ils veulent la liberté, seraient bien avisés de se faire piquer et d’arrêter de rouspéter! Vous voudriez écouter des gens qui préfèrent boire de la soupe froide une nuit d’hiver sur le parking d’un centre commercial alors qu’ils pourraient se bronzer avec nous aux sports d’hiver? Il vaut mieux confier les clés du pays à ceux qui ont réussi, comme nous, plutôt qu’à des ratés qui peinent à boucler leurs fins de mois, vous ne croyez pas?

Eh bien ne rangez pas les doudounes trop vite les gars, y a encore du boulot!

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