«S’il suffisait de porter un masque…» Lettre ouverte à Daniel Koch

Puisque le matériel a fait défaut, la seule stratégie envisageable était celle du confinement… – © Pixabay
Cher Monsieur Koch,
Samedi 4 avril, dans un point presse sur la crise sanitaire, vous avez déclaré: «S’il suffisait de porter des masques pour pouvoir retourner au travail de manière sécurisée, cela aurait déjà été fait.» C’est un gros mensonge. Cela n’aurait pas été fait parce que des masques, il n’y en avait pas.
Je ne suis pas de ceux qui trouvent «nulle» la manière dont la crise sanitaire est gérée en Suisse, je suis plutôt du côté des citoyens (une majorité, il me semble) qui font confiance à la «task force» fédérale. J’apprécie notamment le choix qui a été fait de miser sur la responsabilisation individuelle plutôt que de décréter le confinement strict, comme en France ou en Italie.
Mais justement, Monsieur Koch: si vous voulez que l’on continue à vous faire confiance, il ne faut pas nous mentir. Nous ne sommes pas des imbéciles. Pour faire confiance, nous avons besoin qu’on nous dise la vérité.
La vérité, le médecin et diplomate français Jean-Christophe Rufin l’a résumée l’autre matin sur France Culture: il y a des pandémies très létales, comme Ebola, face auxquelles la stratégie du confinement généralisé s’impose sans discussion. Le Covid-19 n’en fait pas partie: il s’agit d’un virus relativement peu mortel, face auquel la stratégie la plus pertinente est peut-être celle du confinement généralisé, mais peut-être pas. Peut-être qu’il vaut mieux miser sur une approche «à la coréenne»: au lieu de paralyser le pays tout entier (avec les dégâts humains et économiques que cela implique), on met le paquet sur le dépistage massif et la protection ciblée des personnes à risque.
Jean-Christophe Rufin ne dit pas qu’une stratégie est à coup sûr meilleure que l’autre, il dit que ça se discute. Mais qu’en l’occurrence, ça ne s’est pas discuté du tout, pas plus en Suisse qu’en France. Pourquoi? Parce qu’une approche de protection ciblée, ça se prépare: il faut notamment avoir en stock des tonnes de masques, de matériel de protection, de tests. Or, ce matériel a fait défaut. La stratégie du confinement général n’a pas été choisie parce qu’elle était la meilleure mais simplement parce qu’il n’y en avait pas d’autre. Alors non, Monsieur Koch: même «si cela suffisait de mettre un masque», cela n’aurait PAS été fait. Des masques, il y en avait tellement peu que des soignants, des éducateurs, des employés de CMS se sont retrouvés à travailler sans protection. Depuis quelques jours, ça va un peu mieux, semble-t-il. Mais il faut l’admettre: si nous avions été prêts avec les bons stocks de matériel, nous aurions pu envisager une autre stratégie et peut-être éviter la catastrophe économique et sociale.
Pourquoi n’étions-nous pas prêts? Pourquoi la Suisse, pays de la prévoyance, du bas de laine et des abris anti-atomiques, n’a-t-elle pas fait mieux que ses voisins? Sûrement pas parce qu’elle n’avait pas un bon plan pandémie. Ce plan existe, commandé par le Conseil Fédéral à une commission d’experts de la société civile qui a pris la chose très à cœur et rédigé des recommandations précises et pertinentes, notamment concernant les stock de matériel. Simplement, ces recommandations sont restées dans les tiroirs, apparemment à l’échelle des gouvernements cantonaux. C’est un véritable «ratage d’Etat», comme le dit l’Illustré de cette semaine, qui a enquêté sur la question. Un ratage dont il serait urgent de tirer les leçons. A quoi cela sert-il de nommer des commissions extra-parlementaires hautement compétentes si c’est ensuite pour «schubladiser» leurs rapports?
Pour tirer les leçons de l’échec, il faudrait commencer par l’admettre. Ca nous ferait du bien de vous entendre dire: «On a complètement foiré sur ce coup-là, la pénurie de masques est un ratage grave. Et si on vous a dit qu’ils étaient inutiles, c’était pour ne pas vous affoler.» Sont-ils utiles ou non, au bout du compte, dans un emploi généralisé? La question, semble-t-il, reste controversée. Mais le jour où une certitude scientifique émergera, Monsieur Koch, et que vous entrependrez de nous la communiquer, comment voulez-vous qu’on vous croie?
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