Quand les hirondelles d’Ossorguine résistent au chaos du monde

Publié le 15 mars 2024
A l’enseigne de La Bibliothèque de Dimitri, salutaire opération de sauvetage du trésor littéraire de L’Age d’Homme, «Une rue à Moscou» de Michel Ossorguine (Mikhaïl dans la présente réédition), représente un fleuron relativement méconnu des fameux Classiques slaves dirigés par Jacques Catteau et Georges Nivat. Comme dans «Vie et destin» de Vassili Grossman, les ténèbres de la tragédie russe s’humanisent sous le regard d’un écrivain impliqué et solidaire, qui oppose son chant du monde au poids de l’Histoire. A (redécouvrir) en ces temps de folie belliqueuse relancée…

D'entre tous les écrivains russes de la première moitié du XXème siècle, la figure lumineuse et solitaire de Michel Ossorguine rayonne d'équilibre et d’empathie, contrastant avec les visages souvent tourmentés de ses contemporains. Peu connu jusque-là (seul Une rue à Moscou fut traduit en français il y a plus de cinquante ans de ça, chez un petit éditeur, mais restait introuvable jusqu’en  1973, date de la première édition à L’Age d’Homme), Michel Ossorguine n'a pourtant pas été épargné par la tourmente historique, son goût inaliénable de la justice l'ayant poussé, tout au contraire, à militer sur tous les fronts où il estima devoir défendre la liberté.
C'est ainsi que, né en 1878 à Perm, il commença par lutter contre le régime tsariste dans les rangs du Parti social-révolutionnaire. Condamné à mort une première fois, puis libéré, exilé en Italie, voyageant de là en France où il se livra au journalisme, il revint en Russie dès 1916, adhéra à la Révolution de Février, mais s'éleva contre celle d'Octobre et, en 1919, passa une nouvelle fois à deux doigts de la mort, séjournant quelque temps dans la sinistre fosse du «vaisseau de la mort» de la Loubianka (prison de la Tchéka) qu'il décrit dans les deux livres auxquels le lecteur de langue française a désormais accès: Saisons, son autobiographie, et Une rue à Moscou. 
Expulsé d'Union soviétique en 1922, réfugié à Paris jusqu'en 1940, puis finissant ses jours dans une petite maison située au cœur de la France occupée, Michel Ossorguine semble n'avoir gardé aucun ressentiment à l'égard d'un régime qu'il a certes combattu, acceptant comme une composante de l'âme et de l'histoire de son peuple bien-aimé le dernier état, catastrophique, de la révolution trahie.
Aussi peu marxiste que peut l'être un individualiste ennemi des syst...

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