Publié le 17 mars 2023
Le président de la Confédération a donné deux interviews (au «Temps» et à la «NZZ am Sonntag») qui font du bruit. Il y dit son malaise devant «la frénésie guerrière». Il a aussi parlé de «l’ivresse de la guerre», qui se manifeste dans certains milieux.

Il trouvait ainsi les mots pour désigner ce qui préoccupe nombre d’entre nous. Qui hésitons à exprimer ce trouble par crainte de heurter, de contrarier le simplisme ambiant. Merci donc à Alain Berset, aussitôt confronté à une tempête indignée dans les arènes politiques et médiatiques, y compris des pontes du parti socialiste! En Suisse et à l’étranger, avec des flèches françaises acérées (L’Express: «Un président ne devrait pas dire ça»). Le Conseiller fédéral a donc dû préciser les termes employés sans en dénaturer la substance. Clair sur la condamnation de «l’agression brutale» dont l’Ukraine est victime, clair sur la solidarité humanitaire à manifester, mais clair aussi sur le refus d’une «logique de la guerre» affichée par les Occidentaux. Une réflexion nullement fixée sur le tabou de la neutralité, mais inspirée par le bon sens, la sagesse, l’expérience historique: une issue négociée est préférable à l’interminable escalade belliqueuse.

Avant même ces déclarations, le plus acharné des va-t-en-guerre du Parlement, le président du parti radical, le conseiller aux Etats argovien Thierry Burkart, qualifiait quiconque se dit en faveur de négociations de paix pour mettre fin au carnage de «pacifistes idiots», qui «comprennent et honorent» Poutine. On pourrait dire aussi que la course aux armements engagée par les Européens, Suisses compris, provoque la jubilation chez les fabricants d’armes dont les bénéfices explosent. Ainsi Burkart est très actif au Parlement sur ce terrain. Il est vrai qu’il est bien informé. Sa propre sœur, avocate d’affaires à Zurich, Deborah Carlson Burkart, est membre du conseil d’administration de Ruag International, propriété de la Confédération. A noter que l’entité vouée à la fabrication de munitions en Suisse, Ammotec, a été vendue l’an passé – ce qui peut surprendre par les temps qui courent – à l’italien Beretta… grâce au plaidoyer du dit Thierry Burkart. On l’entend souvent évoquer la défense de la démocratie en Europe mais manifestement le business des arsenaux le préoccupe aussi. L’opinion publique suisse reste pourtant divisée sur la question des réexportations d’armes. Un sondage de TA-Media (portant sur 24’000 personnes) fait apparaître que seuls 55% y sont favorables. Les jeunes y étant particulièrement opposés.

Il n’en reste pas moins que le lobby des armes est fort puissant au Parlement. Comme celui des pharmas qui vient de couler une nouvelle tentative de faire baisser enfin le prix des médicaments, notamment par l’importation directe. Sous une avalanche de prétextes téléguidés par les milieux intéressés. Avec l’aide de la gauche comme de la droite. Allez comprendre…

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