La pagaille des trains allemands

Publié le 19 août 2022

Hannover Hauptbahnhof, « le triangle des Bermudes ». – © Magnus Manske

Renversez les clichés! Les voyageurs rentrant d’Italie vantent la ponctualité des trains. Ceux qui reviennent d’Allemagne sont effarés: les trains n’arrivent à l’heure que six fois sur dix. Retards, trains supprimés, toutes sortes de tracas. La Deutsche Bahn en prend pour son grade.

Qui voyage par le rail outre-Rhin doit le savoir: planifier le parcours, réserver sa place, c’est bien, mais le risque est grand que rien ne se passe comme prévu. Vous pensiez embarquer à Zurich ou Bâle dans le convoi allemand comme prévu sur l’horaire? La liaison est souvent annulée. Il s’agira de jongler avec les correspondances, si ce n’est entre Basel SBB et Basel Bad BF. Vous pensiez prendre le dernier train à l’arrivée d’Allemagne pour rentrer chez vous tard le soir ailleurs en Suisse? Vous risquez de passer la nuit dans une gare. L’explication? Manque de personnel, matériel vieillissant, fragilité du réseau. Les mécontents accusent les gouvernements de ces dernières années d’avoir négligé les investissements nécessaires. Et aucun plan de redressement n’est programmé.

Cet été, ce fut particulièrement chaotique en raison d’un énorme afflux de voyageurs profitant de l’offre dite des 9 euros. Pour cette somme, il est possible (jusqu’au 31 août) de circuler librement, dans toute l’Allemagne, sur les lignes régionales et locales, dans les bus et les métros. Mais attention: ce n’est pas valable sur les grandes lignes type ICE. Quelque 26 millions de personnes en ont profité! Plus d’un Allemand sur trois. La Deutsche Bahn envisage des offres semblables, probablement un plus chères, pour l’automne.

Ce qui frappe, dans la pagaille, c’est la sérénité des voyageurs. Ils râlent peu. Ils prennent leur mal en patience. Pas très contents bien sûr quand ils se font débarquer d’un train bondé, quand on leur refuse leur vélo faute de place… mais ça passe. Sans remous politiques, sans manifs, sans éclats exagérés sur les réseaux sociaux. Question de tempérament? Ou effet du dressage covidien? Quand on a accepté gentiment les précautions sanitaires, on reste plus facilement dans la soumission civique. 

On n’ose imaginer ce que ces désagréments susciteraient en France! Pour le Suisse qui s’aventure sur ces voies, le choc est rude. Des retards, il y en a aussi chez nous, mais pas à cette échelle. En plus, à la différence des CFF, le masque est exigé. S’il tombe sous le nez, des policiers, des vrais, peuvent vous rappeler à l’ordre. Quant au personnel, il est souvent peu informé des changements de quais, de gares et d’horaires. Il faut s’habituer à la réponse: «Weissichnich».

Le personnel de bord? Très variable. J’ai entendu un serveur, dans un wagon-restaurant bondé, avec des gens debout dans le couloir, dire: «Vous pouvez consommer mais ce n’est pas obligatoire.» Un autre, moins aimable, proposait des boissons. Un audacieux a osé demander: «et on peut manger quelque chose?» Réponse: «J’ai proposé des boissons, pas autre chose!» 

Bref, une autre façon de voyager. Un journaliste du Tagesanzeiger va même jusqu’à écrire: «Hanovre, c’est le triangle des Bermudes de la Deutsche Bahn. On sait quand on arrive mais en repartir, c’est très incertain. J’ai raté toutes les correspondances prévues.» Après tout, le voyage, c’est aussi l’apprentissage de l’imprévu.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Bonnes vacances à Malmö!

Les choix stratégiques des Chemins de fer fédéraux interrogent, entre une coûteuse liaison Zurich–Malmö, un désintérêt persistant pour la Suisse romande et des liaisons avec la France au point mort. Sans parler de la commande de nouvelles rames à l’étranger plutôt qu’en Suisse!

Jacques Pilet
Politique

Un nouveau mur divise l’Allemagne, celui de la discorde

Quand ce pays, le plus peuplé d’Europe, est en crise (trois ans de récession), cela concerne tout son voisinage. Lorsque ses dirigeants envisagent d’entrer en guerre, il y a de quoi s’inquiéter. Et voilà qu’en plus, le président allemand parle de la démocratie de telle façon qu’il déchaîne un fiévreux (...)

Jacques Pilet
Politique

Honte aux haineux

Sept enfants de Gaza grièvement blessés sont soignés en Suisse. Mais leur arrivée a déclenché une tempête politique: plusieurs cantons alémaniques ont refusé de les accueillir, cédant à la peur et à des préjugés indignes d’un pays qui se veut humanitaire.

Jacques Pilet
Politique

Les penchants suicidaires de l’Europe

Si l’escalade des sanctions contre la Russie affaiblit moins celle-ci que prévu, elle impacte les Européens. Des dégâts rarement évoqués. Quant à la course aux armements, elle est non seulement improductive – sauf pour les lobbies du secteur – mais elle se fait au détriment des citoyens. Dans d’autres domaines (...)

Jacques Pilet
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Culture

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet
Culture

A Iquitos avec Claudia Cardinale

On peut l’admirer dans «Il était une fois dans l’Ouest». On peut la trouver sublime dans le «Guépard». Mais pour moi Claudia Cardinale, décédée le 23 septembre, restera toujours attachée à la ville péruvienne où j’ai assisté, par hasard et assis près d’elle, à la présentation du film «Fitzcarraldo».

Guy Mettan
Economie

Quand les PTT ont privatisé leurs services les plus rentables

En 1998, la Confédération séparait en deux les activités des Postes, téléphones et télégraphes. La télécommunication, qui s’annonçait lucrative, était transférée à une société anonyme, Swisscom SA, tandis que le courrier physique, peu à peu délaissé, restait aux mains de l’Etat via La Poste. Il est utile de le savoir (...)

Patrick Morier-Genoud
Sciences & Technologies

Les délires d’Apertus

Cocorico! On aimerait se joindre aux clameurs admiratives qui ont accueilli le système d’intelligence artificielle des hautes écoles fédérales, à la barbe des géants américains et chinois. Mais voilà, ce site ouvert au public il y a peu est catastrophique. Chacun peut le tester. Vous vous amuserez beaucoup. Ou alors (...)

Jacques Pilet
Philosophie

Les biais de pensée de la police, et les nôtres

Pourquoi, à Lausanne, un policier a-t-il aimablement serré la main du chauffard qui avait foncé délibérément dans une manifestation propalestinienne? Au-delà des polémiques politiques, il s’agit sans doute avant tout d’un de ces biais cognitifs comme nous en avons tous.

Patrick Morier-Genoud
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
Economie

Et si on parlait du code de conduite de Nestlé?

Une «relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée» vient de coûter son poste au directeur de Nestlé. La multinationale argue de son code de conduite professionnelle. La «faute» semble pourtant bien insignifiante par rapport aux controverses qui ont écorné l’image de marque de la société au fil des ans.

Patrick Morier-Genoud
Politique

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
Sciences & Technologies

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet
Santé

Ma caisse-maladie veut-elle la peau de mon pharmacien?

«Recevez vos médicaments sur ordonnance par la poste», me propose-t-on. Et mon pharmacien, que va-t-il devenir? S’il disparaît, les services qu’ils proposent disparaîtront avec lui. Mon seul avantage dans tout ça? Une carte cadeau Migros de trente francs et la possibilité de collecter des points cumulus.

Patrick Morier-Genoud
Politique

Cachez ces mendiants que je ne saurais voir!

Après une phase que l’on dira «pédagogique», la Ville de Lausanne fait entrer en vigueur la nouvelle loi cantonale sur la mendicité. Celle-ci ne peut désormais avoir lieu que là où elle ne risque pas de déranger la bonne conscience des «braves gens».

Patrick Morier-Genoud