La guerre et le désarroi occidental

Les gouvernements européens et américains ont été surpris par le nombre et l’ampleur des manifestations dites pro-palestiniennes. Elles étaient portées par des sensibilités diverses, la plupart humanistes, pacifistes, certaines plus identitaires, plus haineuses. Le fait est qu’elles ne se référaient pas seulement à la guerre en cours. Soudain ressurgissait la question, longtemps oubliée, de la colonisation de la Palestine. Avec la création de l’Etat d’Israël en 1948, son élargissement en 1967 et depuis lors, jusqu’à aujourd’hui, le grignotage forcé de la Cisjordanie où la tension est aussi extrême. De nouvelles générations ignorantes de l’histoire découvrent ces réalités et crient d’autant plus fort dans les rues.
Dans les chancelleries il devient difficile d’échafauder des propositions ayant quelque chance d’être entendues et utiles à l’apaisement. Cela sur un fond d’influences internationales contradictoires. L’exemple du flop d’Emmanuel Macron est parlant. Son idée d’une coalition qui combattrait à la fois le Hamas et Daesh n’a convaincu personne. Parce que le premier est une force politique locale, identifiable, qui pratique le terrorisme en faisant la guerre mais ne l’exporte pas dans d’autres pays. Alors que le second est une pieuvre sans visage qui sévit à travers le monde à des fins strictement idéologiques et non nationales. Plus retentissant et plus révélateur encore: le voyage raté de Biden qui, après sa démonstration de solidarité indéfectible avec Israël, voulait rencontrer les chefs d’Etats arabes qu’il croyait ses alliés. Tous l’ont ostensiblement boudé et pris à partie. Cela jusqu’au chouchou des Américains dans la région, le roi de Jordanie.
Autre revers: le président américain insista fortement pour que l’aide humanitaire au territoire assiégé puisse largement arriver. Or plusieurs jours après, ce n’est toujours pas le cas. A ce sujet on peut dire que Netanyahou s’est moqué de Biden. Quelques camions ont pu passer, sans commune mesure avec les besoins que ne cessent de rappeler les dernières organisations restées dans cet enfer. Tel le CICR qui a facilité la libération de quatre otages à ce jour.
La mission américaine apporta aussi un sage message. Une mise en garde. En substance: si vous envahissez Gaza avec toutes vos forces, vos troupes perdront beaucoup d’hommes, la population civile souffrira plus encore et l’émoi mondial sera immense. Et ensuite que ferez-vous? Pensez-vous vraiment que vous aurez totalement éliminé le Hamas qui a ses têtes au Qatar, ou les mouvements de résistance qui pourraient lui succéder? Pensez à nos propres expériences malheureuses, en Irak par exemple…. Ce discours de raison, lui, sera-t-il entendu? C’est possible, d’autant plus que l’armée israélienne est divisée sur la suite à donner. Mais une nouvelle boucherie peut se produire, sur l’ordre d’un Netanyahou accablé de reproches chez lui qui peut espérer prolonger ainsi son pouvoir. Cri d’alarme d’un ami libanais: «Dieu sait ce qui arrivera si cela se passe. Le monde est-il à ce point fou pour faire exploser une région dont on ne peut nullement prévoir les conséquences, ni régionalement ni internationalement? Tout est possible dans ce monde dirigé par des malades mentaux.»
L’Union européenne? Pire encore. Un cafouillage lamentable. L’inévitable Ursula van der Leyen s’est précipitée à Jérusalem, sans mandat, sans réflexion avec les pays qu’elle représente. Avec un discours d’appui absolu au gouvernement Netanyahou, sans la moindre nuance, sans un signe d’empathie pour les morts civils de Gaza. Bien des Israéliens furent abasourdis d’un tel simplisme. Le Commissaire aux Affaires étrangères Josep Borell prit le contre-pied, attaqua la dame. Quant aux Etats membres, tous dirent leur solidarité avec Israël mais avec des nuances quant à la destruction de Gaza. Plusieurs Premiers ministres ont fait le voyage, tenu des discours attendus. Résultat zéro. Bref, plus personne n’écoute cette Union en l’occurrence irréfléchie et désunie.
Les Nations Unies? Elle sont plus que jamais hors jeu. Les dizaines de condamnations d’Israël à travers l’histoire, pour violation des frontières et des droits humains, n’ont jamais eu le moindre effet, jamais entrainé la moindre sanction. Et voilà que le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, essuie une pluie de critiques occidentales pour avoir déclaré que «l’attaque terroriste du Hamas ne venait pas de nulle part», mais «de 56 années de politique d’occupation». Israël réclame sa démission pour ce propos!
Dès lors les appels au cessez-le-feu, à l’aide massive aux malheureux Gazaouis, qui se font entendre, sur un ton calme, aussi bien en Russie qu’en Chine, paraissent raisonnables, plus audibles. Un revers pour ceux qui se disent les champions de la démocratie et de la paix. D’autant plus amer si l’on songe à leurs efforts de ces dernières années pour aider les pays arabes à se rapprocher d’Israël, pour créer ainsi une vaste zone pro-occidentale, cette entreprise commencée avec succès paraît compromise pour longtemps.
Les secousses de la géopolitique ont leur importance. Mais terminons plutôt cet article avec une information reçue ce jour. A Gaza les enfants sont invités à écrire leur nom sur leurs bras. En cas de blessures ou de mort, ils seront ainsi remis à leurs familles. Par solidarité, des milliers d’écoliers font de même dans diverses villes arabes. Selon le Middle East Eye britannique, ce 26 octobre, on arrive au chiffre de 8’000 victimes à Gaza. Dont un tiers d’enfants.
Les images de la tragédie inondent chaque jour les médias arabes. Elle se font plus rares dans nos parages. Gare au fossé des opinions. Il se rappelle déjà à nous à travers nos villes européennes si mélangées.
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