«Joker», ou l’histoire d’une chute inexorable vers la folie la plus totale

Publié le 19 octobre 2019
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le film de Todd Phillips, actuellement à l'affiche, ne laisse pas indifférent. Erigé en chef d’œuvre par les uns, taxé de catastrophe du millénaire par les autres, il y a de quoi attiser la curiosité.

S’il a bien été présenté en tant que spin-off de la saga Batman, Joker n’a pour ainsi dire rien à voir avec ses prédécesseurs. Sauf peut-être l’ambiance sombre et inquiétante de Gotham City.
Joker est un film qui traite de la maladie mentale. Et on peut dire qu’il relève ce pari avec brio! Il serait vain de tenter de le comparer avec les autres Batman, car le fait que le protagoniste principal soit issu de la saga est parfaitement secondaire. Inutile également de compter les points entre les prestations de Joaquin Phoenix et Heath Ledger, car on ne parle tout simplement pas de la même chose. Peu de scènes d’action auxquelles les films de la chauve-souris nous avaient habitués dans ce long-métrage. Toute l’action se déroule à l’intérieur même du personnage et s’exprime, sporadiquement, par des scènes de transe. Par lesquelles on se laisse entraîner, ou pas.

Joker retrace les débuts de celui qui allait devenir le «méchant psychopathe» de DC Comics. Il illustre formidablement bien la douloureuse chute d’Arthur Peck vers la folie. Le basculement fatal entre la raison et la démence. Le fameux «craquage» jusqu’au point de non-retour. Si bien qu’il soulève la question de la part d’aliénation qui sommeille en chacun d’entre nous et que nous luttons, plus ou moins vaillamment, plus ou moins consciemment, pour faire taire. Si nous étions passés par les mêmes épreuves, aurions-nous, nous aussi, «lâché la rampe»?

Cette course à la reconnaissance, à la starification qui gangrène notre société est également un élément bien présent dans le film. Ainsi que l’humiliation et le sentiment de solitude qui les accompagnent souvent. La froideur, la malhonnêteté, l’individualisme et la malveillance des gens qui l’entourent finissent par avoir raison du peu de rationalité d’Arthur Peck, déjà souffrant des conséquences d’une lésion cérébrale qui déclenche en lui un comportement qu’il tente de rejeter, impuissant. Il lutte en permanence entre le dégoût de son propre être et le besoin intrinsèque, lié à l’un instinct de survie, de se prouver qu’il n’est pas aussi misérable et insignifiant qu’il en a l’air.

Attention, spoilers!

Lors de la scène finale, alors que gronde la colère des citoyens de Gotham, impossible de ne pas penser aux mouvements de révoltes de ces derniers temps. Le film n’aurait pas pu sortir à une période plus adéquate. Malgré lui, le Joker se met à représenter le combat des pauvres contre les riches. A incarner la figure du type lambda, de la classe pauvre américaine qui crie un «ça suffit, assez!» d’un tir de revolver en direct qui scellera son destin à jamais et qui brisera définitivement le dernier fil qui le retenait à la raison. La partie sombre et démente de sa personnalité prend le pas sur tout le reste et devient alors sa nouvelle identité.

Si le film a pu décevoir certains fans de Batman, il saura incontestablement trouver un public parmi les psychanalystes!


La bande-annonce du film:

Joker, de Todd Phillips, avec Joaquin Phoenix et Robert De Niro, 2h02.

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