Hôpital d’urgence de Berlin pour le coronavirus: 90 millions pour rien

Publié le 21 mars 2025

Le «Centre de traitement de la Covid Jafféstrasse (CBZJ)», installé en 2020, démantelé en 2021. – © Baunetz-Wissen

Installé en un temps record en 2020 dans les halls d’exposition de la capitale allemande, vanté par les autorités et les médias, l’hôpital et ses 488 lits ont accueilli… zéro patient. Il a finalement été démantelé tandis qu'aujourd'hui, les hôpitaux de Berlin manquent toujours des fonds nécessaires pour se protéger durablement contre les pandémies.

Alexander Schyska*, article publié dans sur Infosperber le 13 mars 2025. Traduit et adapté par Bon pour la tête 


Des centaines de personnes se sont rassemblées le 11 mai 2020, en pleine pandémie de coronavirus, pour l’inauguration de l’hôpital d’urgence dans les halls d’exposition de Berlin: journalistes, photographes, équipes de tournage, députés et invités – même un général. Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, s’y est montré quelques jours plus tard. Le maire de Berlin, Michael Müller (SPD), a quant à lui fièrement déclaré que d’autres villes envieraient Berlin pour ces installations.

Avec l’aide de l’armée allemande et de l’Agence fédérale allemande pour l’assistance technique, cet hôpital provisoire d’une capacité de 488 lits a été construit sur une surface de 10 901 mètres carrés. Trois kilomètres de poutres mécaniques ont été installés et 103 kilomètres de tuyaux de cuivre ont été déployés pour les conduites d’oxygène, les lignes électriques et les câbles réseau. Même s’il n’avait pas été prévu de traiter des patients nécessitant des soins intensifs ou une assistance respiratoire, des respirateurs et un appareil de tomodensitométrie ont été achetés.

Imiter les Chinois

A l’époque, les Berlinois ont manifestement voulu imiter les Chinois, chez qui des hôpitaux provisoires avaient été construits en très peu de temps. Pourtant, en mai 2020, seuls 2,5 % des plus de 20 000 lits d’hôpitaux de Berlin étaient occupés par des patients testés positifs. A la fin de la même année, ce chiffre était passé à 7,5 %.

En 2021, comme les autres hôpitaux disposaient d’un nombre suffisant de lits et que les Länder voisins comme le Brandebourg ou la Thuringe n’envoyaient pas de patients atteints de la Covid à Berlin, le «Centre de traitement de la Covid Jafféstrasse (CBZJ)» – son nom officiel – a été fermé sans tambour ni trompette. Sans qu’aucun patient n’y ait été accueilli.

Pendant la pandémie, les autorités avaient de toute évidence cédé à la panique, publiant par exemple quotidiennement le «nombre de cas». Pourtant, il était clair dès le départ que ce «nombre de cas» ne concernait que les personnes testées positives, et non les personnes malades. La plupart des personnes testées positives n’ont pas eu de symptômes ou seulement ceux d’un rhume. A l’époque, le risque d’être hospitalisé concernait principalement les personnes âgées souffrant de comorbidités.

«Une farce coûteuse»

Le chirurgien à la retraite Wolfgang Albers, membre du parti Die Linke, a décrit cette farce berlinoise et l’a commentée sur «unsere-zeit.de»: «Lors de l’inauguration, tout le monde s’était fait prendre en photo avec fierté, mais personne n’était présent lors du démontage embarrassant. Aucune conséquence n’a été tirée de cette farce qui a coûté plus de 90 millions d’euros.» 

Les hôpitaux de Berlin manquent toujours des fonds nécessaires pour se protéger durablement contre les pandémies par des mesures simples telles que l’installation de sas et de cloisons dans les chambres. Interrogé sur les raisons pour lesquelles aucun fonds correspondant n’a été prévu dans le prochain budget de l’Etat, le Sénat de Berlin refuse de répondre.

* L’auteur est professeur d’allemand et d’histoire à la retraite à Berlin


Lire l’article original

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

Un nouveau mur divise l’Allemagne, celui de la discorde

Quand ce pays, le plus peuplé d’Europe, est en crise (trois ans de récession), cela concerne tout son voisinage. Lorsque ses dirigeants envisagent d’entrer en guerre, il y a de quoi s’inquiéter. Et voilà qu’en plus, le président allemand parle de la démocratie de telle façon qu’il déchaîne un fiévreux (...)

Jacques Pilet
Politique

Les penchants suicidaires de l’Europe

Si l’escalade des sanctions contre la Russie affaiblit moins celle-ci que prévu, elle impacte les Européens. Des dégâts rarement évoqués. Quant à la course aux armements, elle est non seulement improductive – sauf pour les lobbies du secteur – mais elle se fait au détriment des citoyens. Dans d’autres domaines (...)

Jacques Pilet
Politique

Israël-Iran: prélude d’une guerre sans retour?

Du bluff diplomatique à la guerre totale, Israël a franchi un seuil historique en attaquant l’Iran. En douze jours d’affrontements d’une intensité inédite, où la maîtrise technologique iranienne a pris de court les observateurs, le Moyen-Orient a basculé dans une ère nouvelle: celle des guerres hybrides, électroniques et globales. Ce (...)

Hicheme Lehmici
Politique

Les poisons qui minent la démocratie

L’actuel chaos politique français donne un triste aperçu des maux qui menacent la démocratie: querelles partisanes, déconnexion avec les citoyens, manque de réflexion et de courage, stratégies de diversion, tensions… Il est prévisible que le trouble débouchera, tôt ou tard, sous une forme ou une autre, vers des pouvoirs autoritaires.

Jacques Pilet
Economie

Taxer les transactions financières pour désarmer la finance casino

Les volumes vertigineux de produits dérivés échangés chaque semaine témoignent de la dérive d’une finance devenue casino. Ces instruments servent avant tout de support à des paris massifs qui génèrent un risque systémique colossal. L’instauration d’une micro-taxe sur les transactions de produits dérivés permettrait de réduire ce risque, d’enrayer cette (...)

Marc Chesney
Sciences & Technologies

Identité numérique: souveraineté promise, réalité compromise?

Le 28 septembre 2025, la Suisse a donné – de justesse – son feu vert à la nouvelle identité numérique étatique baptisée «swiyu». Présentée par le Conseil fédéral comme garantissant la souveraineté des données, cette e-ID suscite pourtant de vives inquiétudes et laisse planner la crainte de copinages et pots (...)

Lena Rey
Sciences & TechnologiesAccès libre

Superintelligence américaine contre intelligence pratique chinoise

Alors que les États-Unis investissent des centaines de milliards dans une hypothétique superintelligence, la Chine avance pas à pas avec des applications concrètes et bon marché. Deux stratégies opposées qui pourraient décider de la domination mondiale dans l’intelligence artificielle.

Philosophie

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud
Politique

Censure et propagande occidentales: apprendre à les débusquer

Les affaires encore fraîches des drones russes abattus en Pologne et du bombardement israélien au Qatar offrent de belles illustrations du fonctionnement de la machine de guerre informationnelle dans nos pays démocratiques. Il existe en effet une matrice de la propagande, avec des scénarios bien rôdés, qu’on peut voir à (...)

Guy Mettan
Politique

Un dialogue de sourds

La télévision alémanique a diffusé un débat sur le thème «Israël va-t-il trop loin?» entre deux anciens diplomates suisses et deux soutiens d’Israël. Les participants ont échangé leurs points de vue, parfois extrêmes, sans réussir à se mettre d’accord.

Marta Czarska
Philosophie

Plaidoyer pour l’humilité intellectuelle

Les constats dressés dans le dernier essai de Samuel Fitoussi, «Pourquoi les intellectuels se trompent», ont de quoi inquiéter. Selon l’essayiste, l’intelligentsia qui oriente le développement politique, artistique et social de nos sociétés est souvent dans l’erreur et incapable de se remettre en question. Des propos qui font l’effet d’une (...)

Politique

Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha

L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le (...)

Jean-Daniel Ruch
Politique

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet
HistoireAccès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

Politique

USA out, Europe down, Sud global in

Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai et les célébrations qui se sont tenus en Chine cette semaine témoignent d’un nouveau monde. L’Europe n’en fait pas partie. A force de pusillanimité, d’incompétence géopolitique et à trop jouer la carte américaine, elle a fini par tout perdre. Pourtant, elle persévère (...)

Guy Mettan
Philosophie

La fin du sionisme en direct

La guerre totale menée par Israël au nom du sionisme semble incompréhensible tant elle délaisse le champ de la stratégie politique et militaire pour des conceptions mystiques et psychologiques. C’est une guerre sans fin possible, dont l’échec programmé est intrinsèque à ses objectifs.

David Laufer