En finir avec Hanouna, mais après?

Publié le 11 novembre 2022
Gros clash jeudi soir dans «Touche pas à mon poste!», sur C8. Un député a allumé le milliardaire Vincent Bolloré, le patron de la chaîne. La gauche radicale, à l’origine de l’esclandre et un brin Tartuffe, doit-elle encore aller dans cette émission, dont Cyril Hanouna, son animateur, paraît faire peu de cas des institutions démocratiques? Derrière le dilemme, un enjeu politique et sécuritaire.

«Mon chéri», «abruti», «t’es une merde». Jeudi, comme souvent dans ce rendez-vous formaté pour le buzz, il s’est passé quelque chose de fort sur le plateau de «Touche pas à mon poste!», l’émission animée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8 du groupe Bolloré – le nom à l’origine du clash de jeudi soir. Pour La France insoumise (LFI), ce parti de la gauche radicale siégeant à l’Assemblée nationale, un dilemme à présent se pose: faut-il encore aller à TPMP, là où bat le cœur de la France antisystème, où les électorats lepénistes et mélenchonistes s’invectivent, mais surtout, se parlent comme nulle part ailleurs?

Que s’est-il passé de si grave ou plutôt de si révélateur? Alors que le débat portait sur l’accueil par la France de 234 migrants se trouvant à bord du bateau Ocean Viking, le jeune député LFI Louis Boyard, qui fut autrefois chroniqueur rétribué à TPMP, a mis les pieds dans son ancienne gamelle en parlant d’un procès menaçant «Bolloré» pour déforestation au Cameroun. Vincent Bolloré est ce milliardaire français propriétaire du groupe Canal, un catholique breton qu’on dit hanté par la crainte du «grand remplacement», ce concept d’extrême droite repris par son poulain Eric Zemmour lors de la dernière campagne présidentielle.

Fidèle à son style «wesh-embrouille», où les différends se règlent en battles de tchatche, Cyril Hanouna a aussitôt mis un coup de pression au député Boyard, façon «qu’est-ce t’as dit?»: «Tu sais que t’es dans le groupe Bolloré, ici?», lui a-t-il lâché quand apparaissaient au même moment les résultats d’un sondage-téléspectateurs indiquant une proportion de 80% se prononçant contre l’accueil des 234 migrants et de 20% se disant pour.

En sweat-capuche, Hanouna, tout à son personnage de caïd de la street chic rappelant au p’tit merdeux le respect dû au patron, le vrai, insiste alors: «Tu sais que t’es dans le groupe Bolloré?… Qu’est-ce que tu viens foutre ici, alors?… Bolloré t’a donné de l’argent, t’étais chroniqueur ici…»

Boyard, qui avait visiblement préparé son coup, la joue grands principes: «Attends, Cyril, est-ce que tu es en train de me dire que je n’ai pas le droit de dire que Bolloré, il a un procès avec cent cinquante Camerounais parce qu’il a déforesté?» La suite: le député-LFI-ex-chroniqueur-TPMP, ne s’énervant pas, devant pressentir qu’il sortira gagnant de la battle, se prévaut de sa qualité de député. Hanouna piétine l’argument, estimant que Boyard, comme d’autres de son parti, doit son élection à TPMP. Après avoir donné du «mon chéri» à Boyard, il le traite d’«abruti» et de «merde», chacun accusant l’autre d’avoir fait monter l’extrême droite – le grand tabou de la politique française.

Quelle suite LFI, plus largement la Nupes, la coalition de gauche à l’Assemblée nationale, donnera-t-elle à cet incident? Continuera-t-elle d’aller sur le plateau de TPMP? Qui, d’Hanouna ou de la gauche radicale, a-t-il le plus besoin de l’autre? Sans LFI, formation aux accents populistes, TPMP perdrait sa caution de gauche, risquant alors de ne plus réunir que des «anti-tout», souvent l’antichambre d’un parti de l’ordre. Mais en renonçant à ce forum, La France insoumise se priverait d’un lieu où elle peut porter des coups à «Macron», ce qui lui rapporte des voix. Ne plus se montrer dans «Touche pas à mon poste!» pourrait être interprété comme l’aveu qu’on appartient au «système», à cette «élite» qu’on prétend combattre.

Dans le même temps, en participant à cette émission, LFI sait qu’elle contribue à saper la confiance dans les institutions démocratiques, dont on a vu jeudi soir le peu de cas qu’en faisait Cyril Hanouna en insultant le député Boyard. Il y a deux semaines, toujours à la barre de TPMP, Hanouna appelait à la tenue d’un procès expéditif, assortie d’une «perpétuité immédiate» pour la meurtrière présumée de la petite Lola. Tartuffe dans l’affaire, LFI est bel et bien confrontée à un dilemme, à moins que l’ambiguïté ne lui siée davantage que la clarté.

Mais surtout, TPMP, qui remplit, quoi qu’on en pense, une fonction tribunitienne en offrant un exutoire aux passions de toutes sortes, peut-elle être supprimée? Sa disparition provoquerait-elle des troubles? Bolloré et sa créature Hanouna disposent là d’un certain pouvoir et d’une certaine responsabilité.

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