Camus est-il vraiment celui que l’on croit?

Publié le 6 octobre 2023
Neuf millions d'exemplaires de «L’Etranger» (traduit en soixante-dix langues) et quatre millions sept cent mille exemplaires de «La Peste» ont été à ce jour vendus en France. Editorialistes ou hommes politiques, tous revendiquent l’héritage d’Albert Camus, l’auteur français le plus lu dans le monde. Est-il vraiment le saint laïc dont tous se réclament? Non, non et non, avance Olivier Gloag.

Il plait à droite comme à gauche, au centre comme aux extrêmes, à Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, George Bush, à l’extrême droite française, à la Fédération anarchiste, au  Figaro, à Alain Finkielkraut, Michel Onfray, BHL, Edwy Plenel, André Comte-Sponville, à Robert Smith du groupe new wave The Cure et à Mark E. Smith du groupe de post-punk britannique The Fall.
Mais est-il vraiment ce saint laïc, cet humaniste accompli, ce philosophe indépassable, ce militant anticolonialiste, ce résistant de la première heure, cet homme épris de justice et opposé à la peine de mort que tous décrivent? Non, non et non!
Dans Oublier Camus, son essai paru ces jours-ci aux Editions de la Fabrique, le quinquagénaire Olivier Gloag, professeur dans une université de Caroline du Nord, le conteste avec force.
Le colonialisme, le colon et ses contradictions
Mort à 47 ans, le 4 janvier 1960, dans un accident de voiture, ce penseur et écrivain adulé, nanti d’un style sobre, précis, fin et ironique, sans cesse traversé par d’angoissants dilemmes moraux,  opposant un stoïcisme insolent à la cruauté des hommes, revendiquant l’absence de compassion et de remords, a multiplié les récits sublimant la domination française en Algérie.
Tant L’Etranger que La Peste portent sur des morts d’Arabes, des morts dont la seule fonction est de mettre en lumière les problèmes de conscience de colons français. Récits qui racontent les effets d’une victoire remportée sur une population musulmane, pacifiée et décimée, dont les droits à la terre ont été durement restreints.
L’Etranger porte sur le déni de l’Arabe en tant qu’être humain. Meursault tue un Arabe, mais cet Arabe n’est pas nommé et paraît sans histoire, et bien sûr n’a ni père ni mère. Toutes les descriptions physiques que Camus fait des ...

Ce contenu est réservé aux abonnés

En vous abonnant, vous soutenez un média indépendant, sans publicité ni sponsor, qui refuse les récits simplistes et les oppositions binaires.

Vous accédez à du contenu exclusif :

  • Articles hebdomadaires pour décrypter l’actualité autrement

  • Masterclass approfondies avec des intervenants de haut niveau

  • Conférences en ligne thématiques, en direct ou en replay

  • Séances de questions-réponses avec les invités de nos entretiens

  • Et bien plus encore… 

Déjà abonné ? Se connecter

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Une société de privilèges n’est pas une société démocratique

Si nous bénéficions toutes et tous de privilèges, ceux-ci sont souvent masqués, voir niés. Dans son livre «Privilèges – Ce qu’il nous reste à abolir», la philosophe française Alice de Rochechouart démontre les mécanismes qui font que nos institutions ne sont pas neutres et que nos sociétés sont inégalitaires. Elle (...)

Patrick Morier-Genoud

Sorj Chalandon compatit avec les sinistrés du cœur

Après «L’enragé» et son mémorable aperçu de l’enfance vilipendée et punie, l’écrivain, ex grand reporter de Libé et forte plume du «Canard enchaîné», déploie une nouvelle chronique, à résonances personnelles, dont le protagoniste, après la rude école de la rue, partage les luttes des militants de la gauche extrême. Scénar (...)

Jean-Louis Kuffer
Accès libre

Comment les industriels ont fabriqué le mythe du marché libre

Des fables radiophoniques – dont l’une inspirée d’un conte suisse pour enfants! – aux chaires universitaires, des films hollywoodiens aux manuels scolaires, le patronat américain a dépensé des millions pour transformer une doctrine contestée en dogme. Deux historiens dévoilent cette stratégie de communication sans précédent, dont le contenu, trompeur, continue (...)

Plaidoyer pour l’humilité intellectuelle

Les constats dressés dans le dernier essai de Samuel Fitoussi, «Pourquoi les intellectuels se trompent», ont de quoi inquiéter. Selon l’essayiste, l’intelligentsia qui oriente le développement politique, artistique et social de nos sociétés est souvent dans l’erreur et incapable de se remettre en question. Des propos qui font l’effet d’une (...)

Démocratie en panne, colère en marche

En France, ce n’est pas tant le tourniquet des premiers ministres et la détestation de Macron qui inquiètent, c’est le fossé qui se creuse entre la société et le cirque politicien, avec son jeu d’ambitions qui paralyse le pays. Le tableau n’est guère plus réjouissant en Allemagne, en Grande-Bretagne, en (...)

Jacques Pilet

Le trio des va-t-en-guerre aux poches trouées

L’Allemand Merz, le Français Macron et le Britannique Starmer ont trois points communs. Chez eux, ils font face à une situation politique, économique et sociale dramatique. Ils donnent le ton chez les partisans d’affaiblir la Russie par tous les moyens au nom de la défense de l’Ukraine et marginalisent les (...)

Jacques Pilet
Accès libre

L’individualisme, fondement démocratique, selon Tocqueville

Notre démocratie est en crise, comment la réinventer? Que nous enseignent ceux qui, au cours des âges, furent ses concepteurs? Pour le penseur français Alexis de Tocqueville (1805-1859), l’individualisme et l’égalisation des conditions de vie sont deux piliers essentiels de la démocratie.

Bon pour la tête

Un western philosophique où les balles sont des concepts

Le dernier livre d’Alessandro Baricco, «Abel», se déroule au Far West et son héros est un shérif tireur d’élite. Il y a bien sûr des coups de feu, des duels, des chevaux, mais c’est surtout de philosophie dont il s’agit, celle que lit Abel Crow, celle qu’il découvre lors de (...)

Patrick Morier-Genoud

Un tunnel bizarroïde à 134 millions

Dès le mois prochain, un tunnel au bout du Léman permettra de contourner le hameau des Evouettes mais pas le village du Bouveret, pourtant bien plus peuplé. Un choix qui interroge.

Jacques Pilet

Quand la France et l’UE s’attaquent aux voix africaines

Nathalie Yamb est une pétroleuse capable de mettre le feu à la banquise. Elle a le bagout et la niaque des suffragettes anglaises qui défiaient les élites coloniales machistes du début du XXe siècle. Née à la Chaux-de-Fonds, d’ascendance camerounaise, elle vient d’être sanctionnée par le Conseil de l’Union européenne.

Guy Mettan

Le cadeau de Trump aux Suisses pour le 1er Août

Avec 39 % de taxes douanières supplémentaires sur les importations suisses, notre pays rejoint la queue de peloton. La fête nationale nous offre toutefois l’occasion de nous interroger sur notre place dans le monde. Et de rendre hommage à deux personnalités du début du 20e siècle: Albert Gobat et Carl (...)

Jean-Daniel Ruch

Gaza: interdire les mots pour mieux nier la réalité

La ministre déléguée française Aurore Berger voudrait bannir le terme de génocide pour ce qui concerne l’action du gouvernement israélien à Gaza. Comme si le monde entier ne voyait pas ce qu’il s’y passe et alors même qu’en Israël des voix dénoncent courageusement l’horreur.

Patrick Morier-Genoud

«L’actualité, c’est comme la vitrine d’une grande quincaillerie…»

Pendant de nombreuses années, les lecteurs et les lectrices du «Matin Dimanche» ont eu droit, entre des éléments d’actualité et de nombreuses pages de publicité, à une chronique «décalée», celle de Christophe Gallaz. Comme un accident hebdomadaire dans une machinerie bien huilée. Aujourd’hui, les Editions Antipode publient «Au creux du (...)

Patrick Morier-Genoud

Quand Etienne Barilier débrouille les «Brouillons» de Lichtenberg

Formidable objet éditorial résultant de l’accointance éclairée des éditions Noir sur Blanc et du romancier-essaysite-traducteur-préfacier et (prodigieux) annotateur, la première intégrale en langue française des cahiers scribouillés du génial polygraphe scientifico-poétique, folle figure de sage des Lumières, apparaît, bien au-delà de ses recueils d’aphorismes, comme un «océan de pensée» fascinant (...)

Jean-Louis Kuffer

Voyage en vélo à travers la Bulgarie (3 et fin)

Six cents kilomètres séparent Sofia, la capitale, de Velik Tarnovo, au centre-nord de la Bulgarie. En dix-sept jours de vélo, du 17 mai au 3 juin, j’ai découvert un pays attachant et d’une richesse culturelle insoupçonnée. Dans ce troisième et dernier chapitre, je vous propose, entre autres, de rencontrer des (...)

Roland Sauter
Politique

France-Allemagne: couple en crise

De beaux discours sur leur amitié fondatrice, il y en eut tant et tant. Le rituel se poursuit. Mais en réalité la relation grince depuis des années. Et aujourd’hui, l’ego claironnant des deux dirigeants n’aide pas. En dépit de leurs discours, Friedrich Merz et Emmanuel Macron ne renforcent pas l’Europe.

Jacques Pilet