Burkini, ce marronnier halal annonce les beaux jours

Publié le 20 mai 2022

Le maire (EELV) de Grenoble Eric Piolle, à l’origine de la polémique autour du burkini. Ici à Poitiers en août 2021. – © Greenbox / CC BY SA 4.0

Avec une large marge d’avance, il est revenu le temps des plages, des piscines. Et celui de s’agiter sous ce marronnier halal, le burkini, notamment en Suisse et en France. Cette année, c’est le maire de Grenoble, le Vert Eric Piolle, qui a, le premier, ressorti cette combinaison aquatique indispensable aux vaines polémiques estivales.

Quelle mouche a donc piqué l’urticant grenoblois? La France avait-elle vraiment besoin de cette nouvelle pomme de discorde alors qu’elle en possède des tonnes dans ses boîtes à claques? Vous agitez le voile islamique ou le burkini… Et voilà, on ne parle plus que de ça, reléguant les vrais drames et les inextricables situations dans la réserve aux accessoires!

Proposant d’autoriser le port du burkini, jusqu’alors interdit, dans les piscines gérées par sa ville, Piolle a donc soumis cet objet au Conseil municipal, lundi soir. Le burkini a passé la rampe mais de justesse: 29 voix pour et 27 contre dont une partie importante de sa majorité de gauche, entre autres des élus «La France Insoumise» de Jean-Luc Mélenchon.

Sans doute, Eric Piolle adresse-t-il ainsi un clin d’œil appuyé à l’électorat musulman qui commence à peser dans les grandes villes françaises. Et puis, le maire écologiste cherche-t-il aussi à exister sur la scène nationale. Terminant troisième, derrière Yannick Jadot et Sandrine Rousseau, il n’avait pas réussi à se qualifier pour la primaire d’Europe-Ecologie Les Verts. Et s’en trouva fort marri.

A Rennes, le burkini sans tambour ni trompette

Pour ces motifs subalternes, voire futiles, le maire de Grenoble a donc pris le risque de faire éclater la majorité de gauche d’une grande ville française. Ce qui est le plus à blâmer, c’est la façon avec laquelle il a mis en scène cette affaire. A Rennes, la maire socialiste Nathalie Appéré avait autorisé le burkini dans ses piscines municipales, il y a quatre ans, après concertations, explications, dialogues mais sans sonnerie de trompettes et roulement de tambours. Tout s’était passé en douceur. D’ailleurs, Nathalie Appéré n’a pas manqué d’exprimer sa réprobation face à la clivante démarche de son confrère grenoblois. 

Actuellement en France, seules les piscines de Rennes et de Grenoble sont burkini-compatibles.

Situation contrastée en Suisse romande

Il y a une demi-douzaine d’années en Suisse romande, cette tenue couvrante avait également provoqué vagues et remous. Le Tribunal Fédéral ne s’est pas encore prononcé de façon directe sur la question de l’interdiction ou non du burkini. Toutefois, il l’a abordée de façon indirecte dans son arrêt du 11 avril 2013 (2C_1079/2012). Les juges fédéraux s’étaient prononcés à propos d’un refus émis par les autorités argoviennes d’accorder une dispense de cours de natation à deux adolescentes de confession musulmane.

Le TF avait confirmé le refus argovien tout en remarquant que l’école argovienne «avait déployé bien des efforts pour répondre aux préoccupations religieuses des plaignants, en organisant des cours de natation séparément pour chaque sexe, en proposant des cabines individuelles pour se doucher et se changer et même en autorisant le port d’un burkini.» 

On pourrait en déduire que le burkini serait plutôt accepté par le Tribunal fédéral. Mais ce serait en tirer une conclusion beaucoup trop hâtive. Il faut donc attendre que la question soit posée à Mon-Repos de façon plus abrupte.

Patchwork vaudois pour le burkini

Pour l’instant en Suisse, c’est le fédéralisme qui triomphe avec des règlements municipaux de piscines d’une diversité telle que l’on risque fort de s’y noyer. A Lancy et dans les autres piscines genevoises: burkini interdit. Neuchâtel: burkini autorisé. Lausanne: burkini interdit mais shorty autorisé. Yverdon: idem. Morges et Vevey: burkini autorisé. Mais peut-être ces mesures ont-elles été modifiées entretemps, sait-on jamais, tout va si vite!

Que ce soit en Suisse ou en France, il apparaît que les aspects les plus anecdotiques et les plus superficiels des relations avec les citoyens musulmans passionnent le plus les sphères médiatiques (réseaux sociaux compris), règne de l’image oblige.

Croire que le divin créateur se préoccupe, mètre pliant à la main, de la surface de peau laissé aux regards concupiscents des porteurs de slip Kangourou, c’est lui faire injure et insulter la raison. 

De même, voir dans le burkini une arme fatale de l’islamisme politique, c’est lui prêter une importance démesurée. Ce qui reste d’ailleurs le meilleur moyen pour rendre efficace cet outil de propagande. 

Que certaines musulmanes l’utilisent pour imposer la présence de l’islam dans l’espace public, c’est fort probable. Mais il est tout aussi probable que le burkini permette à d’autres de commencer à s’insérer dans une société désécularisée.

Voile sur les vrais enjeux

Surtout, cette focalisation sur les accessoires vestimentaires voile les véritables enjeux des relations entre les musulmans européens et leurs compatriotes, à savoir la liberté de quitter l’islam sans aucune contrainte et la discrimination entre femmes et hommes.

Enfin, que ce soient les Talibans qui obligent les musulmanes à porter la burka ou, de façon infiniment plus bénigne, les règlements municipaux qui interdisent le burkini, c’est toujours le corps de la femme qui est en jeu.

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