Publié le 30 juillet 2021
Si tout le monde a bien noté que les Bleus ont perdu à l’Euro contre la Suisse, Les Verts, eux, sont dans le rouge. Leur échec récent en votation populaire avec le refus de la loi sur la CO2 et des initiatives phytosanitaires montre que la petite révolution politique que certains croyaient avoir vue dans leur montée en puissance aux élections fédérales de 2019 est à relativiser. Qu’en est-il des leçons tirées par le parti et de ses ambitions gouvernementales? Nul ne le sait. Dans tous les cas, un bouleversement de leur approche relèverait du miracle. Analyse.

Rappelons-nous des termes avec lesquels était décrit le résultat des élections fédérales d’octobre 2019: il s’agissait d’une «vague verte», voire d’un «tsunami vert». Dix-sept sièges en plus pour les Verts et neuf pour les Vert’libéraux, essentiellement au détriment de l’UDC (douze mandats de perdus!) ainsi que du PS et du PLR, qui limitaient les dégâts avec un recul de quatre sièges chacun. Le PDC, qui perdait «seulement» trois sièges, perdait par le même coup sa place de quatrième parti du pays, détenue désormais par les écologistes.

A peine deux ans plus tard, la douche est froide pour les sympathisants de la décroissance. Non seulement les deux initiatives dites «phytosanitaires», l’une demandant une interdiction des pesticides, l’autre voulant instaurer une série de contraintes visant à garantir une autre propre, ont été refusées par le peuple. Mais c’est le cas aussi de la loi sur le CO2, pourtant portée par toutes les formations politiques hormis l’UDC, qui prévoyait de réduire les émissions de gaz carbonique au moyen de taxes.

Selon Fabian Schäfer de la NZZ, «le verdict sur la loi CO2 a impitoyablement révélé la plus grande faiblesse stratégique du parti: il est inoffensif en termes de démocratie directe. […] Sur leurs questions fondamentales, les Verts sont si loin de remporter des majorités dans les urnes qu’ils ne représentent aucune menace pour le système politique. Jusqu’à présent, ils n’ont pas prouvé qu’ils étaient un facteur à prendre en compte.» Difficile de donner tort à ce jugement sévère.

Bonnet rouge, vert bonnet

Pour le résumer simplement, l’écologisme restrictif ne convainc pas. Du moins en Suisse. L’affaire pourrait être une aubaine pour le centre droit, qui a maintenant l’occasion de clarifier son positionnement sur la question environnementale et être une force de propositions capable de s’accorder aux violons de la population. Et notamment des campagnes, très nettement différentes que les villes dans leurs attitudes électorales sur ce genre de dossiers notamment. Mais qu’en est-il des Verts?

Là, tout est plus flou. A peine la loi CO2 refusée que le parti a mis la faute sur le PLR, tantôt accusé d’être hypocrite, de ne pas être uni ou encore de compter un fossé entre ses élus et ses électeurs. Si ce reproche est justifié, il n’en demeure pas moins que le parti dont le thème principal – voire unique! – sur lequel il se distingue des autres est le climat aurait dû être celui qui fasse remporter cette bataille démocratique, du moins celui à la faire la moins échouer. Or, les militants écologistes radicaux, issus de sphères comme Extinction Rebellion, ont sensiblement contribué au capotage du projet.

En fait, ce qui ressort de cette affaire est moins l’insignifiance du parti dans l’absolu que sa peine à se définir par rapport aux socialistes. Le PS est et demeure la grande force de gauche dans ce pays, certes avec beaucoup de critiques d’hommes et de femmes de leur propre camp sur des questions aussi bien sociétales – tendance woke/cancel culture, priorisation de thèmes LGBT, etc. – qu’économiques – incompatibilité entre les marxistes et les socio-libéraux, fouillis sur la question européenne… A sa gauche, le parti Les Verts est une copie conforme de son allié, à l’exception du cheval de bataille climatique, où c’est le parti écolo qui apparaît comme «l’original».

La question d’un siège au Conseil fédéral

Pourtant, il y en aurait des discussions à avoir sur l’écologie comprise de manière plus large. Nombre de conservateurs sont sensibles à l’idée de préservation, des paysages comme de la langue française ou de la conscience de l’histoire. Mais les Verts, de la même façon qu’en France, sont avant tout des gauchistes avant d’être des écolos. La défense des paysages se heurte à la défense des éoliennes; celle de la beauté de notre culture est empêchée par la soumission à l’idéologie de la déconstruction permanente. Le rassemblement est, pour l’heure, une impasse.

En outre, des personnes de toutes sensibilités pourraient voter vert si la lutte contre le réchauffement climatique, par exemple, était un thème abordé de manière plus nuancée et pluraliste. En stalinisant le débat, la gauche écolo se coupe, sur un plan intellectuel, de la tolérance traditionnellement chère à son camp, et sur un plan plus pratique, d’expertises et de pistes de solution tout à fait intéressantes – comme l’écologie industrielle – mais incompatibles avec leur ADN politique intangible. Idem pour l’antiracisme et autres thèmes sociétaux.

La suite logique de cette situation est relativement simple: s’ils suivent cette voie, les Verts ne pourront briguer de siège au Conseil fédéral qu’en attaquant un siège libéral-radial, le PS, lui aussi surreprésenté au gouvernement, n’étant pas un siège «ennemi». Or, le parlement ne le verra sans doute pas de cet œil-là et le bon sens voudrait que si les Verts accèdent un jour au Conseil fédéral, cela se fasse en mode «un siège pour les Verts et un siège pour le PS», les deux partis étant très proches. Quoi qu’il en soit, les écologistes ont été trop cupides en ouvrant tout de suite cette discussion au lendemain des fédérales de 2019. On le voit aujourd’hui.

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