Big Ag et la fin du dernier paysan

Publié le 28 mai 2021
Avec la complicité des Fondations Syngenta et Bill Gates, le WEF a fait pression sur le Sommet des systèmes alimentaires de l’ONU qui doit se tenir en septembre prochain à New York. Ou comment les géants de l’économie essaient de faire main basse sur l’agriculture mondiale au détriment des paysans.

Le 13 juin, les Suisses voteront sur deux initiatives qui concernent l’agriculture (eau propre et pesticides). Du coup, les champs du pays se sont couverts de banderoles tandis que des paysans émus aux larmes occupent les micros pour tenter d’inciter les citoyens à voter non. Ou comment «Big Ag», dans une mobilisation sans précédent, a enrôlé le monde agricole à son service. Il y a quelque chose de pathétique dans cette vision de paysans qui, acculés au suicide par des conditions de vie indignes, écrasés entre le marteau des géants de l’agro-business et l’enclume des giga-entreprises de distribution, n’ont plus d’autre ressource que de se battre pour prolonger la corde avec laquelle on les pendra.

Car il ne faut pas se faire d’illusion, qu’on dise oui ou non à ces deux initiatives, les paysans finiront pendus. Ou au mieux comme des chiens à laisse courte. Depuis que les géants de la tech ont décidé d’investir le dernier secteur économique qui, avec les cafetiers-restaurateurs et les coiffeurs, échappe encore à leur emprise, leur sort est scellé.

Fusionner Big Data et Big AG

Le but de ces nouveaux acteurs consiste à fusionner Big Data et Big Ag. Amazon, Microsoft, Apple et Alibaba se sont ainsi rapprochés des géants de l’agro-business tels que Syngenta, Cargill et Bayer-Monsanto, et des grands distributeurs tels que Walmart aux Etats-Unis, afin de convertir le monde agricole aux technologies de l’information et de traitement des données. C’est ainsi que Microsoft a acquis FarmBeats et Microsoft4Africa, Apple Agworld, Amazon WholeFood (16 milliards), Facebook Reliance Jio (6 milliards) tandis que les firmes agrochimiques s’achetaient des plateformes digitales (Cropio, Climate Fieldview ou Xarvio).

En juin 2019, sous la houlette de la plate-forme agriculture du WEF (Food Action Alliance), un protocole d’entente rédigé dans un jargon incompréhensible avait été signé entre l’ONU et le WEF avant d’être retiré devant la levée de boucliers des agences spécialisées de l’ONU qui n’avait pas été consultées (FAO, PAM et FIDA). Mais depuis deux ans les choses avancent à grands pas. L’agriculture est devenue le deuxième utilisateur de drones au monde après le secteur militaire (cartographie, analyse des sols, épandages) tandis que le secteur privé a transformé le CGIAR (le consortium des centres internationaux de recherche agricole, 1500 scientifiques, 850 millions) en instrument de combat à son profit et se liait aux centres de recherche publics au nom du «partenariat public-privé» (5000 chercheurs, 11 milliards de budget).

Terres accaparées par les consortiums internationaux

L’ambition ultime est de troquer le système multilatéral de gestion de l’agriculture en système purement bilatéral entre le secteur privé et le secteur de recherche public. Eliminés les Etats, les organisations internationales, les ONG, les syndicats de paysans et les associations de consommateurs, l’ONU se contentant de regarder passer le ballon. Parallèlement à cette entrée en force des big techs dans l’agriculture, les terres, elles, continuent à être massivement accaparées par de grands consortiums internationaux et des fonds de placement. Lesquels misent à fond sur l’érosion des sols, le réchauffement climatique, l’augmentation démographique, la transition verte pour se constituer à vils prix des réserves de terres et d’eau douce qui vaudront bientôt des milliers de milliards de francs.

Endettés, laminés, congédiés

Quant aux paysans, après s’être endettés pour acheter d’énormes tracteurs, ils seront sommés d’acquérir à prix d’or des applications pour planter leur blé et élever leur bétail. Endettés jusqu’au cou, laminés par des distributeurs qui accaparent toute la valeur ajoutée agricole, congédiés de leurs terres, ils n’auront bientôt plus qu’à migrer dans les banlieues des grandes villes tandis que leurs champs rassemblés en immenses latifundia seront détenus par des transnationales et gérés avec des drones télécommandés par des ingénieurs californiens ou chinois.

Tel est le sort qui les attend, qu’ils soient suisses, sahéliens ou indiens. Seuls les pubs à la télé ne changeront pas: comme à Disneyland, le dernier paysan, en costume d’armailli, continuera à faire croire au gogo que l’œuf, le beurre et le steak qu’il consomme sont de purs produits d’amour et d’eau fraîche de nos terroirs.

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