Publié le 30 avril 2021

Nos sept prétendus Sages, myopes face aux enjeux actuels. – © DR

Des gouvernements qui gèrent au jour le jour sans grande vision de l’avenir, il n’en manque pas. Mais à cet égard, le Conseil fédéral est caricatural. Face à l’Europe, il n’a aucun recul, aucune sérénité, il s’enferre. Depuis le voyage de Guy Parmelin à Bruxelles, c’est l’agitation générale. Les discours fusent dans tous les sens. Souvent sans grande connaissance du dossier. Le bal des émotions et des préjugés.

On n’ose pas attendre des sept prétendus Sages une vision large. Ils sont trop myopes. Pourtant, le tableau est préoccupant. La Suisse, comme tous les Européens, est bousculée par deux puissances. Les Etats-Unis, avec les fameuses GAFAs et un pouvoir qui exerce son influence partout, allant jusqu’à prescrire aux banques helvétiques avec quel pays elles ont le droit de traiter ou pas. En face, la puissante Chine qui achète à tour de bras des enseignes suisses et joue de son pouvoir économique dans le monde entier. Il est si évident que seule l’Union européenne peut espérer faire le poids face à ces géants. Et l’environnement! Aucune issue n’est pensable sans l’unité du continent. Mais tout cela paraît dépasser l’horizon provincial de nos dirigeants.

Alors, allons dans le détail. Il a été dit tant de contre-vérités dans les débats de ces derniers jours. L’accord-cadre avec l’UE est en fait à bout touchant. Avec une palette d’avantages que bien des Etats tiers nous envieraient. Restent quelques points dits litigieux et montés en épingle. Vraiment pas de nature à changer le cours de l’histoire! Parler de «divergences profondes», c’est empoisonner le climat des pourparlers. Ou préparer l’échec.

1- Le principe selon lequel les Etats ne subventionnent pas les entreprises privées. L’UE a déjà autorisé de nombreuses exceptions, pour les compagnies d’aviation, les banques. Elle a laissé entendre qu’elle est prête à renoncer à cette disposition pour la Suisse. 

2 – La protection des salaires. Ceux-ci, au sein même de l’Union, doivent être égaux entre les ressortissants d’un pays et les travailleurs européens. Cela vaudra pour la Suisse. Les hauts cris sur le «dumping fiscal» ne sont qu’une manipulation démagogique et mensongère. A chaque Etat de veiller au respect de ses normes qu’il définit souverainement. Le hic porte sur les travailleurs détachés momentanément. Pour éviter les abus et permettre les contrôleurs, les entreprises concernées doivent s’annoncer sept jours à l’avance. L’UE pense que quatre jours suffiraient. Et voit d’un mauvais œil l’obligation de verser une caution en prévision d’éventuelles amendes. Un casus belli? Ridicule. 

3 – La directive sur la citoyenneté. Derrière cette formule obscure, un problème concret. L’UE estime que les travailleurs européens dûment engagés en Suisse doivent bénéficier de la protection social helvétique. C’est déjà partiellement le cas. Si un employé perd son job dans la première année, il a droit à six mois de chômage. Si c’est après un an, il peut timbrer plus longtemps. Cela fait hurler la droite du camp bourgeois. Si les syndicats avaient encore une fibre de gauche, ils se féliciteraient d’une telle disposition. Il n’est pas question d’admettre des «touristes sociaux». Les Etats européens eux-mêmes refusent les profiteurs. En pratique, l’accord tel qu’il est rédigé ne change quasiment pas la donne actuelle. Aucune raison d’en faire une montagne.

Enfin il a beaucoup été question de l’arbitrage en cas de différend. Les nationalistes se sont indignés qu’après le passage dans les organes paritaires, si le désaccord persiste, ce soit finalement la Cour de justice européenne qui tranche. Or Guy Parmelin, d’entente avec le Conseil fédéral, a souligné à Bruxelles que la Suisse accepte l’ordre juridique européen. C’était le point névralgique pour l’Union. C’est une concession de la Suisse. C’est réglé.

Un avantage considérable pour l’emploi, la recherche, les échanges

En fait, il en faudrait peu pour mettre l’accord sous toit. Pour autant qu’il y ait une réelle volonté d’aboutir. Il s’agira ensuite d’expliquer le texte, de l’illustrer en exposant les enjeux, l’avantage considérable qu’il représente pour l’emploi, la recherche, les échanges de toutes sortes. Puis le Parlement se prononcera. Et le peuple votera. Si le débat est clairement posé, il peut dire oui. Et la Suisse se sera tiré une méchante épine du pied.

Ce qui est stupéfiant, dans ce feuilleton assez minable, c’est l’inconséquence d’un gouvernement qui joue avec le feu. Sans l’ombre d’un plan B. Il a laissé Ignazio Cassis − maintenant mis sous surveillance − patauger pendant quatre ans. Il a envoyé au front Guy Parmelin sans préparation diplomatique suffisante. Il a lancé le débat de façon chaotique. Ce sont les parlementaires qui doivent aujourd’hui remettre l’équipe au travail. Sous la pression de la société civile que le flou inquiète.

Quel jeu joue la gauche?

Reste un mystère. Quelle mouche a piqué la gauche? Ses stars, Levrat et Maillard, pour ne pas parler du co-président du PS qui tombe des nues, paraissent jubiler à l’idée de tout envoyer chambouler. Leur vision d’avenir? Le statu quo! Dans une Europe et un monde qui bougent à toute vitesse… Ont-ils conscience des conséquences sociales du gâchis? Ont-ils oublié la dure décennie (croissance inférieure aux voisins, panne des investissements, crise immobilière…) qui a suivi le non à l’EEE en 1992? Avant que les accords bilatéraux ne fassent enfin redémarrer la machine. En cas d’échec de l’accord, certains patrons déclarent déjà que pour faire face à la difficulté, il s’agira de desserrer les règles, de réduire les coûts, donc pression sur les salaires. L’USS semble ne pas voir la probable réponse ultra-libérale à l’impasse politique. Elle joue contre l’intérêt de ceux qu’elle prétend protéger. Myopie.

Myopes aussi nos Sages, mais en l’occurrence, pardon, ils ont aussi bêtement manqué de sérieux. Leur communication a été de bout en bout désastreuse.

A moins que? A moins qu’une majorité du collège gouvernemental ne se soit embarqué sans le dire, plus ou moins consciemment, dans la vision utopique d’une Suisse à la mode britannique ou à la mode Singapour. A moins qu’il ne fasse tout pour saborder en douce le projet en le compliquant à l’infini. On ne veut y croire. Ces Messieurs-Dames ne sont pas connus pour l’audace de leur imagination. Il n’empêche que la Suisse est emportée, selon le mot du sage ex-diplomate François Nordmann, dans «une dérive souverainiste». 

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